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champion. Pierce Egan, l’auteur du Boxiana et de la Life in London, a bourré de slang six énormes in-octavo. Je ne crois pas qu’on pût en extraire cinquante locutions à l’usage de nos contemporains. De celles qui subsistent encore, plus de la moitié a pris place dans les dictionnaires, et leur vulgarité a désormais un caractère officiel. Le slang les rejette et les désavoue. Mob, sham, turf, hoax, puff, ne lui appartiennent plus, snob[1] pas davantage depuis Thackeray.

L’histoire du slang d’autrefois est donc, somme toute, peu nécessaire à l’intelligence du slang d’aujourd’hui. Nous ne nous occuperons que du dernier, et nous ne promettons pas de nous en occuper très longtemps malgré l’incontestable importance du sujet. L’un des traits caractéristiques du jargon moderne est d’être habituellement polysyllabique par opposition à celui du temps passé, qui se composait en grande partie, on a pu s’en assurer, de mots très simples et très brefs. Quockerwodger, pot-walloper, il y avait là de quoi faire bâiller nos ancêtres. Ces gracieux idiotismes appartiennent au slang parlementaire, et, sans entrer dans trop de détails, nous dirons que le premier désigne un « pantin politique » dont les fils moteurs sont dans la main d’autrui, le second, une classe particulière d’électeurs qui escamotent, au moyen d’un vain-simulacre de résidence » les exigences de la loi relative au domicile des votans. Ferricadouzer et slantingdicular ([2] sont encore d’assez jolies créations ; mais la palme, sous ce rapport, est aux États-Unis. Frère Jonathan dépasse John Bull. Catawampously, exflunctify, kewhollux !… voilà quelques échantillons des américanismes recueillis à New-York en 1850 par le lexicographe Bartlett. Absquatulate vient des mêmes parages, et n’en a pas moins fait son chemin jusqu’en Angleterre, où nous le trouvons à peu près naturalisé[3].

Figurez-vous, au milieu de ce débordement de mots nouveaux, empruntés de toutes parts, fabriqués de toute main, et que chaque année, chaque jour, chaque heure même enfante encore par douzaines, le malheureux étranger qui, s’en tenant à « l’anglais de la reine, » — l’anglais de Johnson, de Webster, d’Ogilvie, de Walker, — et l’ayant soigneusement appris, s’enorgueillit de sa correcte science.

  1. Snob vient-il de sine obolo, ou de sine nobilitate, ou de si (c’est-à-dire quasi) nob ? Voilà de ces questions qu’il faut simplement poser. Il nous suffira de reconnaître que nob., abréviation de nobleman, figure dans les anciens dictionnaires de slang au même titre que mob, dont Swift donne l’étymologie dans son Art de causer élégamment (Art of polite conversation). C’est, dit-il, l’abrégé de mobility.
  2. Ferricadouzer, un coup qui vous fait tomber ; slantingdicular, oblique, penché, par opposition à perpendicular.
  3. Absquatulate, s’enfuir, se cacher, disparaître. C’est une mauvaise forme donnée sans motif au verbe abscond, qui existait de longue date et traduisait exactement la même idée.