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exposée dans ce livre, prêchée dans cette ville. Les dévots de la basse église ayant désigné la haute église par cette locution : high and dry (haut et sec), leurs adversaires ont riposté par une épithète du même ordre : low and slow (bas et lent) ; puis, pour abréger encore, et dans le laisser-aller de la conversation, l’habitude est venue de ne plus se servir que des deux derniers adjectifs, si bien que le sec est maintenant l’église officielle, et sa rivale s’appelle le lent. Entre les deux, une troisième s’intitule « l’église large » (broad church). Celle-là reçoit le nom de broad and shallow (large et sans profondeur). Elle finira par s’appeler shallow tout court, comme le juge mis en scène dans les comédies de Shakspeare.

Parmi les « requins de terre » (land-sharks, sobriquet donné par le matelot à l’homme de loi), il existe aussi des locutions professionnelles que le vulgaire, autant vaut dire le client, à force de les entendre, s’est finalement appropriées. Le grand art d’aligner les chiffres, de régulariser un compte fautif, a pris le nom vulgaire de « cuisine » (cooking). L’attorney qui présente son interminable note de frais est appelé bécasse (snipe)[1]. Si des gens essentiellement graves se laissent aller à de pareilles bouffonneries, que ne doit-on pas attendre des plaisans de profession ? Aussi le slang des coulisses est-il d’une richesse sans égale. L’acteur est un pro (iprofessional), le figurant est un sup (supernumerary). Le directeur est traité de grand-papa (daddy) par tous les membres du tripot comique. Si la paie vient à manquer le samedi, les artistes déconcertés se transmettent la triste nouvelle que « le fantôme ne marche pas » (the ghost does not walk). Une étoile (star) est l’acteur ou l’actrice en renom. Etoiler une pièce, c’est la jouer avec des histrions de troisième ordre, et devenir ainsi, parmi ces humbles satellites, l’astre principal. Notre mot paradis a son équivalent exact dans les théâtres des trois royaumes. On est « parmi les dieux » (up amongst the gods) quand une dure nécessité vous a logé aux galeries supérieures.

Les ours et les taureaux du Stock Exchange (bears and bulls) sont connus de longue date ; chacun sait que l’ours misanthropique spécule sur la baisse des fonds, tandis que le « taureau » courageux se jette, cornes en avant, dans tous les périls dont un haussier est menacé. Au temps où la fièvre des chemins de fer avait exalté toutes les têtes, à l’époque de la rail-way mania, un acheteur ou un vendeur à découvert, un joueur sans capitaux, s’appelait un « cerf, » (stag). Se retirait-il écloppé, plumé, d’une lutte où sa parole restait

  1. 1) Image et calembour tout à la fois. La bécasse a un long bec ou bill. Bill est le nom générique de toute carte à payer.