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familières, les plus usitées, les plus connues n’ont malheureusement pu trouver ici leur place. Le vieux mot humbug (synonyme hum and haw), qui occupe[1] deux grandes pages dans le lexique de l’antiquaire cockney, n’a pas obtenu deux lignes de son indigne commentateur. Nous ne savons pas encore si humbug est dérivé de Hambourg, la ville anséatique, la ville aux fausses nouvelles, ou du chimiste Homberg, qui aidait le duc d’Orléans, régent de France, à trouver la pierre philosophale. Grande question, n’est-il pas vrai ? En attendant qu’elle soit résolue, en attendant que les lexicographes et slangographes se soient mis d’accord, humbug fait le tour du monde. Il est acclimaté au boulevard des Italiens, et une ville de la Californie, Humbug-Flat, prospère sous son invocation.

Aborderons-nous la catégorie des euphémismes, celle des imprécations, celle des locutions proverbiales, comme « prendre congé à la française » (sans tambour ni trompette), — « envoyer un homme à Coventry » (le mettre au ban de la société), — « avoir vu l’éléphant » (être au courant de toute chose), — « offrir à quelqu’un l’épaule froide » (le tenir en respect et l’éloigner par des façons glaciales) ? Expliquerons-nous le mot seedy, le mot shabby, deux adjectifs synonymes qui manquent à notre langue, et par lesquels se caractérise merveilleusement, avec un mélange d’ironie et de pitié, l’aspect triste et bouffon de la misère en habit noir, alors qu’elle cherche vainement à se dissimuler, alors qu’elle affiche encore les dehors d’une élégance flétrie ? Non, il. faut se résigner, il faut s’arrêter. Une question plus importante s’offre d’ailleurs au terme de cette étude. Le cant nous a montré les classes dangereuses sous un aspect nouveau, comme un élément social dommageable à la pureté de la langue. Leur malfaisante influence aurait-elle autant d’action, si le slang ne se faisait l’auxiliaire du cant et ne l’aidait à s’introduire dans des sphères sociales qui lui semblaient interdites ? Que signifie ensuite la vogue toujours croissante du néologisme vulgaire ? Comment expliquer la place énorme qu’il s’est faite en quelques années dans la littérature contemporaine ? N’est-ce pas un « signe du temps » que cette langue du brigandage et de la prostitution pénétrant bannières déployées, au lieu de s’infiltrera petit bruit, chez les gens dont elle écorchait les oreilles ? Et quelles inductions tirer de cet inquiétant phénomène ? A qui en demander compte ? que fait-il prévoir ? — Il accuse, disent quelques-uns, une

  1. > Soyons exact. Hum and haw appartient à la vieille langue et correspond à l’idée d’objection, d’hésitation, d’indécision. Humbug au contraire, c’est le mensonge, la parole creuse et gonflée de vent, bruit inutile, bourdonnement importun de vil insecte (hum-bug).