Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/49

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ambitieuses du siège de Rome, tout en disant avec Basile : « Je hais le faste de cette église, » Grégoire de Nazianze, presque seul en Orient, avait incliné pour l’arrangement des évêques dans l’affaire d’Antioche : d’abord parce qu’il aimait Mélétius, ensuite parce qu’il n’envisageait pas de sang-froid un schisme entre les deux moitiés de la chrétienté. Cette conformité d’opinion resserra entre Jérôme et lui les liens que le goût de la science avait formés. Rien n’égalait d’ailleurs les succès de Grégoire à Constantinople ; il relevait par les séductions d’une éloquence incomparable le parti catholique, presque disparu depuis Constance. Lors donc qu’on vit Théodose enlever les églises aux prêtres ariens, tout ce qu’il y avait de catholiques honnêtes et éclairés à Constantinople demanda Grégoire pour évêque : il s’y refusait, on lui fit violence. Le peuple l’installa de force sur le trône épiscopal, mais Grégoire déclara qu’il ne se regarderait comme évêque que le jour où les évêques, ses frères, l’auraient solennellement reconnu, et qu’il attendait pour cela le prochain concile.

Ce délai permit à ses ennemis d’agir contre lui, et ils provoquèrent un incident dont Jérôme put témoigner bientôt à Rome, et que nous rapportons ici pour l’intelligence de ce qui doit suivre. Grégoire avait quelques ennemis à Constantinople, même parmi les prêtres de son église ; il avait de nombreux jaloux au dehors, entre autres Pierre, archevêque d’Alexandrie, qui tenait sous sa main tout le clergé d’Égypte. Il suffisait que Grégoire fût l’ami de Mélétius pour que Pierre, engagé plus qu’aucun autre dans le parti de Paulin, et travaillé de plus par l’envie, devînt son implacable adversaire. On soupçonnait aussi Damase de voir d’assez mauvais œil l’élévation d’un homme qui pouvait donner un lustre sans égal à l’évêché de Constantinople. Pierre se mit donc en tête d’écarter Grégoire par les moyens avouables ou inavouables. Il ourdit à cette fin une trame tellement infâme qu’on douterait qu’elle ait pu sortir du cerveau d’un prêtre, et encore moins du chef d’une grande église, si l’histoire n’était unanime pour l’affirmer. On était dans les derniers mois de l’année 380, et la flotte chargée de convoyer les blés de l’annone à Constantinople se disposait à lever l’ancre dans le port d’Alexandrie, lorsque Pierre manda près de lui les principaux conducteurs, qui vinrent le trouver au nombre de sept. C’étaient des enfans de la vieille Égypte, aussi capables pour de l’argent de tuer un évêque que de le faire, et plus païens que chrétiens, à en juger par la physionomie idolâtre de leurs noms, car cinq d’entre eux s’appelaient Ammon, Apammon, Harpocras, Anubis et Hermanubis. Pierre leur remit beaucoup d’or et leur donna pour instruction de faire élire à tout prix par la populace de Constantinople un certain Égyptien nommé Maxime, soit pour prévenir la