Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/496

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sommes réduits aussitôt que le terrain expérimental nous manque, alors que pour combler les vides de notre savoir nous essayons de nous accrocher aux hypothèses, aux forces inexpliquées et qui n’expliquent rien. Soyons vrais : nous ne savons pas, il faut l’avouer, ceindre nos reins et chercher !

Pour nous consoler de cet aveu, qui pourrait coûter à notre amour-propre, pour nous encourager dans nos travaux de demain, mesurons, en insistant sur leurs conséquences, l’importance des découvertes actuellement acquises. Si les plantes rendent l’oxygène, les animaux l’absorbent, et une compensation s’établit entre ces fonctions inverses. On pourrait la démontrer expérimentalement en enfermant sous une cloche un animal et une plante. Séparés, chacun d’eux mourrait, le premier en se noyant dans l’acide carbonique qu’il exhale, la deuxième parce qu’elle serait privée de ce gaz qui la nourrit. Réunis à l’obscurité, l’animal et le végétal se nuiraient au lieu de s’aider ; mais sous l’influence du soleil, la vie de l’un entretient celle de l’autre : l’animal, brûlant ses alimens, fournit de l’acide carbonique à la plante, et celle-ci rend à l’animal l’oxygène qui lui est nécessaire. Cette expérience serait en petit l’image du monde, et c’est ainsi que Priestley en a compris l’équilibre éternel. Rien n’est plus grand et plus beau que cette pensée, mais il faut la compléter. Si la cloche dont nous venons de parler était très petite, le moindre excès qui surviendrait dans la respiration de l’animal, ou la moindre interruption dans l’action du soleil, exagérerait la quantité d’acide carbonique, et ferait périr d’abord l’animal et ensuite le végétal. Sommes-nous donc exposés sur la terre à un pareil danger, et les végétaux nous sont-ils tellement nécessaires que nous devions cesser de vivre aussitôt qu’ils cesseraient d’agir ? Il ne le faut pas croire, et nous allons démontrer que cette crainte est vaine. La population humaine du globe peut être approximativement évaluée à un milliard d’individus, et l’on ne sera pas loin de la vérité en admettant que tous les autres animaux pris ensemble exercent sur l’atmosphère, par leur respiration, un effet égal à celui de trois milliards d’hommes adultes. Cela fait pour le règne animal tout entier une population équivalente a quatre milliards d’êtres humains. Or on a mesuré la quantité moyenne d’oxygène qu’un homme adulte consomme par jour, on peut donc calculer celle de la population totale du globe. Elle est très grande sans doute ; mais, d’un autre côté, la provision d’oxygène de l’atmosphère est plus grande encore. Elle est tellement supérieure à la consommation des animaux qu’il faudrait huit milliards d’années pour l’épuiser. En huit siècles il n’en manquerait que la millième partie, et si les végétaux cessaient leur action, il faudrait au moins deux mille ans pour que l’analyse chimique la plus précise réussît à apercevoir un changement dans la composition de l’air. Le service que les végétaux nous rendent est donc beaucoup moins immédiat que le pensait Priestley ; c’est un service à long terme, et nous pouvons sans ingratitude léguer notre reconnaissance à la postérité.