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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 septembre 1864.

Ceux d’entre nous qui ont participé aux dernières émotions de ce qui fut la jeunesse de notre époque, ceux dont le cœur a battu, dont l’imagination a rayonné aux environs de 1830 et que l’usure de la vie n’a point encore flétris, ont assurément le droit de s’abandonner à un sentiment mélancolique lorsqu’ils comparent leurs souvenirs à l’aridité et à l’inertie qui distinguent l’esprit français de ce siècle, devenu sexagénaire. Il y avait alors des mots magiques, des mots où de vagues aspirations s’enveloppaient des formes les plus belles. Par exemple, comme on croyait au progrès ! Que de choses grandes, nobles, éblouissantes, on voyait en rêve quand on parlait de l’avenir ! L’avenir, c’était la poésie, c’étaient les féeries de l’art, c’était la joie des âmes, c’étaient tous les courans de l’esprit grossissant et s’élevant sans cesse ; c’était dans la politique la liberté, la générosité, l’éloquence, le progrès de la dignité humaine, la gloire honnête et sereine de la patrie. Un homme qui vient de mourir, qui a pu commettre bien des erreurs de doctrine, mais qui avait un riche fonds de charité et de bienveillance humaine, M. Enfantin, répétait alors après son maître Saint-Simon : « L’âge d’or est devant vous ! » Et l’on n’avait pas besoin d’être saint-simonien pour le croire. Quand on relit des écrits de cette époque, on ne peut se retrouver au milieu de ces naïves espérances et de ces crédules enthousiasmes sans en être touché. Hélas ! nous avons trop parlé en France du progrès et de l’avenir. Nous en portons la peine. L’avenir de 1830 est devenu le présent de 1864 ; aussi en 1864 on ne pense plus à l’avenir, on n’en par le plus, on n’y croit plus.

Nous sommes tombés d’un excès dans l’autre, et dans un plus triste et plus fâcheux excès. On ne vit, à vrai dire, que dans l’avenir ; ne plus songer à l’avenir, c’est mourir de la pire des morts, mourir d’inertie et d’ennui. C’est à la vie politique du pays que nous appliquons cette plainte. Une nation dans sa vie collective a le même tempérament et les mêmes besoins