Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/504

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que l’individu. Une nation comme la nôtre surtout, au degré de culture qu’elle a atteint, avec les mœurs politiques qu’elle a eues pendant tant d’années, placée la première sous la loi qui régit les peuples civilisés et veut que ces peuples prennent librement part aux choses de leur gouvernement, une nation qui ne peut remplir dignement ses grandes destinées politiques qu’en excitant les facultés de tous ses enfans et en les élevant par l’émulation et la concurrence, une telle nation a besoin d’interroger l’avenir et de diriger ses forces vives vers les objets de son activité future. On a, depuis bientôt quinze ans, suscité chez nous plus d’une diversion à la préoccupation que doit nous inspirer l’avenir de notre politique intérieure. Nous avons eu la diversion de la politique étrangère et de la guerre, celle des concessions de chemins de fer données aux compagnies, celle des spéculations de bourse, celle de l’embellissement et de la reconstruction de nos villes ; mais le feu et l’élan que ces diversions pouvaient donner sont aujourd’hui épuisés. Après la triste fin des affaires de Pologne et l’abandon du Danemark, la politique étrangère ne saurait plus nous offrir d’illusions, et les chances de la guerre ne peuvent plus tenir les esprits en suspens. Notre grand réseau ferré est terminé, et n’a plus de quoi exciter l’appétit des capitaux par la promesse d’énormes et soudains bénéfices. Le public, en matière de spéculations de bourse, est arrivé au désenchantement ; la séduction des primes a fait place au décompte des bilans des banques et à la supputation de la hausse de l’intérêt. Nous sommes dans la période des gains difficiles et de l’argent cher. Nous avons embelli nos villes et percé des rues magnifiques ; mais l’exagération du mouvement des constructions rencontre sa limite dans l’insuffisance ou la cherté du capital, et les sociétés financières qui avaient pris la direction de la spéculation immobilière rencontrent des embarras qui les réduisent à l’impuissance. L’interruption des travaux de l’Opéra et l’achèvement de ce monument favori du plaisir ajourné jusqu’à la construction d’un nouvel hôtel-Dieu ont marqué d’une façon significative le terme où s’arrête cette passion de construire qui a pendant quelque temps emporté le gouvernement, les villes et le public. Quelle autre diversion pourra-t-on trouver à la préoccupation de l’avenir de notre politique intérieure ? On n’en pressent aucune. M. le ministre du commercé a bien parlé, dans un discours adressé aux membres du conseil-général des Bouches-du-Rhône, d’une autre campagne de travaux publics qui achèverait l’outillage industriel de la France ; mais il a subordonné ce grand projet à la réalisation d’une vaste et vague combinaison financière dont il n’a pas fait connaître le secret. Or qui dit combinaison financière dit une formule plus ou moins adroite, plus ou moins élégante, pour attirer et diriger sur un point l’argent du public ; c’est la pipée aux capitaux. Nous n’avons donc pas besoin d’être informés de la combinaison financière que M. Béhic à en vue. Du moment où il s’agit d’appliquer des millions par centaines à un surcroît de travaux publics, n’est-on pas en droit de