Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/506

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lassitude et découragement ferment les yeux à cet avenir, le problème, pour être négligé, n’en subsistera pas moins. Et ces lois générales qui gouvernent le monde moral et politique avec la même inflexibilité que d’autres lois régissent le monde physique, ces lois qu’il serait de notre intérêt et de notre gloire de nous approprier par notre vigilante industrie feront quelque jour sentir-désagréablement leur empire à notre imprévoyance.

La politique pour nous n’est plus dans la réflexion, dans le travail de l’opinion publique sur elle-même, dans l’activité des idées : nous avons pris l’habitude passive de ne la voir que dans le spectacle. Or le trait du moment présent, c’est non-seulement que les idées sont assoupies, mais que le spectacle est vide. De spectacle, nous en avions un l’année dernière dans la lutte désespérée de la Pologne et dans la controverse diplomatique engagée à ce sujet. On nous en faisait entrevoir un autre dans le congrès, et, celui-ci ayant été contremandé, nous ayons eu cette année pour dédommagement le conflit dano-allemand et le démembrement du Danemark. La dernière pièce est achevée. On ne prétendra point apparemment nous intéresser aux conférences de Vienne, où il s’agit simplement de savoir dans quelle mesure le Danemark et les duchés auront à payer les frais de la guerre. Au moins le drame danois a-t-il le dénoûment d’une honnête comédie bourgeoise, et finit-il par des mariages. Le roi de Danemark perd des provinces, mais il établit bien ses enfans : une de ses filles va épouser le grand-duc héritier ; le futur roi d’Angleterre sera le beau-frère du futur empereur de Russie, et même, dit-on, une fille de l’empereur Alexandre est destinée au roi de Grèce. Le rôle que jouent les mariages princiers dans la politique actuelle est un des anachronismes les plus comiques de notre époque. Au surplus, ces mariages de princes, comme les allées et venues des souverains et leurs entrevues, ont beau être la fête des chambellans et faire la joie des maîtres d’hôtel, — pour le public, le divertissement est bien maigre. Le théâtre européen est donc vide et en chômage. En ce moment, le véritable spectacle s’ouvre de l’autre côté de l’Atlantique avec les apprêts de l’élection présidentielle et la question de paix ou de guerre suspendue à l’issue de la compétition dont la première magistrature des États-Unis va être l’objet. Il faut même convenir qu’il y a là quelque chose de plus qu’un spectacle, et que la perspective d’une élection qui rétablirait la paix en Amérique affecte déjà en Europe d’importans intérêts de commerce et d’industrie.

Trois faits sont venus donner aux chances de l’élection présidentielle une tournure qui excite un vif mouvement de curiosité et d’attente : c’est d’abord jusqu’à ces derniers temps les médiocres résultats d’une campagne militaire que les états du nord avaient cru devoir être rapidement décisive ; c’est un incontestable courant d’opinion pacifique qui se manifeste bruyamment dans les états du nord ; c’est enfin l’union des démocrates, de ceux de la paix et de ceux de la guerre, qui vient de se consommer à la