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cercle un peu imprudemment étendu, mais fortifié avec soin, où Grant fait mine de vouloir l’enfermer et l’affamer. Qui sait ? c’est peut-être la fortune de ce prochain combat qui décidera de l’élection présidentielle.

On le voit, la campagne actuelle, malgré les mécomptes qu’elle a causés aux fédéraux, ne laisse pas moins, au point où elle est arrivée, les confédérés dans une position très critique. Grant et son armée, après avoir débuté avec une fougue terrible, mais impuissante, déploient des qualités de patience et de labeur qui méritent d’être comptées ; le général fédéral lui-même, avec la variété de moyens et la ténacité dont il fait preuve, peut passer, quoi qu’il arrive, pour un homme de guerre estimable. On voit aussi qu’il serait possible que l’on approchât de la paix par des voies plus conformes à l’honneur américain que celles auxquelles songe la faction démocrate des copperheads. Si la pacification de l’Amérique s’accomplit aussi vite que le supposent un grand nombre de personnes, quelle sera l’influence de cet événement sur les intérêts économiques de l’Europe ? C’est une question dont s’inquiète déjà le commerce anglais, et qui n’est peut-être pas étrangère à la récente hausse de l’escompte sur la place de Londres. On suppose que le commerce européen se précipitera vers les états confédérés avec des espèces pour y acheter du coton, qu’il résultera de ce mouvement des exportations de numéraire qui pourraient bien entraîner de ce côté de l’Atlantique des crises monétaires, que la baisse qui se produirait sur le prix des cotons causerait de grandes pertes aux détenteurs actuels de cette matière première, et qu’une crise commerciale en pourrait être la conséquence. À notre avis, des prévisions aussi pessimistes, fondées sur un événement aussi hypothétique, ne sont guère faites pour se réaliser. Il est douteux d’abord que les états confédérés aient encore en réserve autant de coton qu’on l’imagine. Pendant la guerre, leur production a été fort réduite. Une portion de leur stock antérieur s’est écoulée par la violation des blocus ou par les saisies des autorités fédérales. Le sud a dû absorber pour ses propres besoins une portion non moins importante. Beaucoup de coton a été brûlé. Il a dû s’en gâter aussi sur les plus vieilles récoltes des quantités considérables. Nous ne croyons donc pas qu’après avoir souffert de la famine cotonnière, nous soyons destinés à être inondés par un déluge cotonnier. Puis, quels ne doivent pas être les besoins de consommation des états confédérés après des privations si longues ! que de produits, au lieu d’or, n’ont-ils pas à demander à l’Europe ! La paix servirait notre commerce, gêné par les énormes et brusques variations des changes de New-York ; la paix enfin relèverait les cours des fonds fédéraux, répandus avec tant de profusion en Allemagne et en Hollande, et les bénéfices que cette hausse donnerait aux détenteurs des valeurs américaines auraient l’effet d’un accroissement subit de richesse. Nous nous refusons donc a croire que le bienfait de la paix américaine pût avoir pour contre-coup en Europe des embarras et des désastres même passagers. Quand des étrangers sont forcés d’assister aux dissen-