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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/561

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Kentucky; les deux grandes villes des bords de l’Ohio, Louisville et Cincinnati, se fortifiaient en toute hâte; enfin les Indiens eux-mêmes, soulevés, dit-on, par des émissaires du sud, surprenaient tous les postes avancés des émigrans yankees sur la frontière occidentale du Minnesota, brûlaient les villages et les maisons isolées, massacraient plus de 800 cultivateurs de tout âge et de tout sexe. Et tandis que les revers se succédaient coup sur coup, tandis que les ennemis en armes approchaient de la frontière des états libres, d’autres ennemis, déguisés en patriotes démocrates, profitaient des circonstances pour aider énergiquement leurs alliés du sud. Ils accusaient le gouvernement fédéral de s’être lancé dans une guerre sans issue, ils lui conseillaient de faire la paix à tout prix, et ne cessaient d’entraver son action par les moyens que leur donnaient la presse, les discussions publiques et les correspondances secrètes, les calomnies et les faux bruits. Les pessimistes et ceux qui par intérêt ou passion désiraient le triomphe du sud croyaient l’Union à jamais brisée. « Le navire n’est pas seulement battu par la tempête, il est en feu ! » disait à cette époque le correspondant du Times, qui recevait les confidences des esclavagistes.

En réalité, l’état de la république n’était pas aussi grave que l’eussent souhaité tous ceux qui sympathisaient avec l’aristocratie des planteurs. Le peuple du nord n’avait pas encore perdu l’espoir de triompher en maintenant ses libres institutions; seules quelques voix isolées faisaient appel à la dictature. Cependant le péril ne pouvait être conjuré que par une victoire décisive, et cette victoire, il fallait l’attendre de soldats qu’une défaite précédente avait humiliés et que démoralisait l’exemple de milliers de traînards et de déserteurs. C’est en courant pour ainsi dire, en luttant de vitesse avec l’ennemi, qu’il fallait aussi réorganiser l’armée. Après la bataille de Bull-Run, le général Pope s’était démis de son commandement, et le général Mac-Clellan, dans lequel les troupes avaient plus de confiance, avait été chargé de réparer les fautes des autres chefs d’armée et les siennes propres: d’instructions, il n’en avait d’autres que de vaincre comme il l’entendrait. Deux mois auparavant, lorsqu’il avait été obligé de lever le siège de Richmond et d’entreprendre cette fameuse retraite de flanc qui n’avait été qu’une longue bataille, ce général, d’ordinaire trop circonspect dans ses plans et trop lent dans ses manœuvres stratégiques, avait, à force de rapidité, sauvé son armée. Maintenant on lui demandait de sauver la patrie : il fit de nouveau preuve de résolution, et ses troupes étaient à peine réorganisées qu’il se dirigeait à grandes journées vers le nord. Le 5 septembre 1862, il partait de Washington, remontant la vallée du Potomac par le versant oriental; le 12, son avant-garde refoulait à Middletown celle des confédérés, et le général Lee, dont