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guerre une influence peut-être décisive. Pourrait-on expliquer les prodigieuses campagnes que firent plus tard les Grant et les Sherman en plein pays ennemi, à 4 et 500 kilomètres de leurs bases d’approvisionnement, s’ils n’avaient compté d’une manière certaine sur l’enthousiasme et le dévouement des nègres, que la seule vue du drapeau fédéral rendait libres à jamais?

Si l’acte émané de l’initiative du président eut pour effet de fortifier l’administration dans les états du nord et de grouper plus solidement autour d’elle les divers partis unionistes, en revanche l’irritation fut profonde dans le sud, et la guerre prit un caractère de fureur et de sauvagerie qu’elle n’avait pas encore eu. Menacés dans cette propriété vivante pour la conservation de laquelle ils avaient brisé le pacte fédéral et s’étaient lancés dans la guerre, les planteurs ne songèrent pas un instant à profiter des cent jours de répit qui leur étaient accordés, ils ne songèrent pas davantage à décréter eux-mêmes l’affranchissement de tous leurs nègres, à leur distribuer des terres et à leur mettre des armes dans la main pour la défense de la patrie commune. Exaspérés surtout par l’enrôlement de leurs anciens esclaves dans les rangs des fédéraux, les chefs de la confédération répondirent à la proclamation du président comme si le droit des gens ne devait plus être observé entre les deux fractions hostiles de l’ancienne république. Le congrès confédéré de Richmond dénonça en M. Lincoln l’ennemi des droits sacrés de la propriété; il l’accusa de faire appel à l’insurrection servile et signala ses actes à l’exécration du genre humain. La majorité du sénat, emportée par la passion, décida qu’à partir du Ier janvier 1863 tous les officiers fédéraux faits prisonniers seraient condamnés aux travaux forcés jusqu’à la fin de la guerre ou jusqu’au retrait de la proclamation présidentielle, et que tous les officiers commandant des soldats nègres ou se permettant de libérer des esclaves seraient mis à mort sans forme de procès. En même temps M. Jefferson Davis fut autorisé à prendre toutes les mesures de vengeance qui lui sembleraient de nature à mettre un terme aux atrocités commises par les Yankees. Quelques membres du sénat de Richmond demandèrent même que le drapeau noir fût déployé et que la lutte devînt désormais une guerre d’extermination. Dans la chambre des représentans, M. Lyons, de la Virginie, proposa « d’offrir 20 dollars de prime et une pension annuelle de la même valeur à tout esclave ou nègre libre qui tuerait un unioniste après le 1er janvier 1863. » La législature de la Virginie déclara « qu’aucun citoyen n’aurait à rendre compte de sa conduite, s’il lui arrivait de tuer un homme qui tâcherait, même sans armes, de donner effet à la diabolique proclamation d’affranchissement. »