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Toutefois l’impassible Grant semblait ignorer les incursions de Forrest et la chute de Plymouth. Sans se laisser détourner de son plan, il continuait ses préparatifs d’attaque contre les forces de Lee. Enfin le 4 mai il donna l’ordre à l’armée du Potomac de marcher en avant, à l’heure même où le général Sherman sortait de la ville de Chattanooga, à 800 kilomètres au sud-ouest de Washington, et pénétrait en Géorgie pour se porter à la rencontre de l’ennemi. Les deux grandes armées de la république, ébranlant en même temps leurs masses, se dirigeaient, l’une vers Richmond, l’autre vers Atlanta, c’est-à-dire vers les deux foyers de l’ovale allongé que forme le territoire des esclavagistes. Comme si la contrée occupée par les rebelles n’était qu’un seul champ de bataille, les forces de Grant et celles de Sherman, comparables aux deux ailes d’une armée gigantesque, se déployaient à la fois pour opérer un mouvement de concentration autour des états insurgés.

Considérées isolément, les troupes fédérales lancées contre la Virginie devaient accomplir sur une plus petite échelle un mouvement de concentration semblable, en convergeant graduellement vers Richmond, la capitale des rebelles. Tandis que le corps principal, sous les ordres immédiats du général Meade, se réservait l’honneur d’attaquer de front l’armée de Lee et de marcher en droite ligne sur Richmond, un autre corps, commandé par Sigel, devait remonter la vallée de la Shenandoah et menacer les communications de Richmond avec la Virginie centrale. Un troisième corps enfin devait prendre pour point de départ la forteresse Monroe et se diriger par le sud-est vers la place ennemie. La campagne qui commençait ainsi, et qui dure encore, sera sans doute regardée plus tard comme la période héroïque de la grande épopée américaine. D’ailleurs les stratégistes modernes ne sauraient trop l’étudier dans tous ses détails à cause de la révolution qu’ont opérée dans la science de la guerre les voies ferrées et l’art, tout américain, d’improviser des fortifications sur les champs de bataille. En Virginie, chaque camp se transforme immédiatement en forteresse, chaque attaque se complique d’un siège. Il faut ajouter que l’histoire n’offre peut-être pas d’exemple d’une lutte dans laquelle les adversaires, généraux et soldats, aient montré à la fois plus de force d’attaque et de courage passif, plus d’initiative et d’indomptable ténacité. De part et d’autre, le nombre des victimes a témoigné de cette volonté puissante que les Anglo-Saxons du Nouveau-Monde apportent dans toutes leurs entreprises, celles de la guerre aussi bien que celles de la paix.

La vallée du Rapidan, affluent du Rappahannock qui coule à peu près à égale distance de Washington et de Richmond, séparait les deux armées ennemies. Dans la nuit du 4 au 5 mai, les troupes de