Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/633

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et d’autres moyens pour porter un secours efficace à une cause qui lui était chère, et que malgré tout elle était seule à vouloir, dans un cas donné, soutenir même au prix des sacrifices de la guerre.

C’est à la Russie d’abord que s’adressa la France d’une manière toute confidentielle et intime. Elle tâcha d’engager Alexandre II à quelque grand acte de réparation et de satisfaction envers les Polonais, acte qui, outre le mérite d’être spontané, l’aurait réconcilié avec l’Europe, lui aurait assuré cette alliance française à laquelle il disait attacher un si grand prix. Le cabinet des Tuileries se prévalut même de la démarche que méditait à ce moment l’Angleterre, et qu’il s’abstenait d’appuyer, pour démontrer au tsar la nécessité de prévenir une démonstration pareille par une initiative généreuse et hardie. « Nous serions les premiers, écrivait M. Drouyn de Lhuys le 9 mars, à féliciter la cour de Russie de l’usage qu’elle ferait de son initiative pour rendre superflue toute représentation de la nature de celle que le cabinet anglais se propose de provoquer. » Du reste, si le gouvernement français se sentait obligé en quelque sorte, par des rapports naguère encore intimes et cordiaux, à cet acte de bons procédés, il y eut aussi des considérations, des illusions, si l’on veut, qui pouvaient faire croire au succès possible d’une pareille tentative. Il est hors de doute en effet qu’on avait alors aux Tuileries, sur l’état des esprits en Russie, des notions qui étaient assurément très loin de la vérité, et qu’une expérience prochaine devait singulièrement démentir, mais qui, à cette époque, furent partagées par un grand nombre de publicistes et d’hommes politiques. On avait tant parlé, et surtout laissé parler, du réveil de la Russie, de la formation dans ce pays d’un grand parti libéral, qu’on avait fini par y croire très sérieusement et de très bonne foi. On avait oublié avec quelle prodigieuse facilité la société moscovite sait recevoir et exécuter tout mot d’ordre venu d’en haut; on était loin de prévoir que ces mêmes libéraux de Moscou et de Saint-Pétersbourg, qui, lorsqu’il était de mode à Tsarkoë-Selo de parler réforme et progrès, n’avaient jamais aux lèvres que les mots de liberté et de garanties constitutionnelles, — on ne prévoyait pas, dis-je, que ces mêmes hommes (à l’exception de quelques rares et loyaux esprits) s’exalteraient bientôt sur les avantages et les vertus d’un gouvernement « fort, » voteraient des adresses à Mouraviev, et surpasseraient en violence sauvage et en cruauté froide jusqu’à ces vieux généraux de Nicolas si décriés, outherod the Herod, comme dit Shakspeare. Ces libéraux, interpellés quelquefois en 1861 et en 1862 sur l’agitation polonaise, avaient répondu avec une légèreté insouciante, et comme si ces événemens eussent été bien petits à côté des questions bien autrement grandes et sérieuses qui s’agitaient pour la Russie,