Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/634

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des grandes choses qu’elle préparait et devant lesquelles disparaîtrait cette « misère » de Varsovie; ils étaient allés parfois jusqu’à soutenir qu’on serait même tout prêt à « abandonner » la Pologne, pourvu que les Polonais se montrassent « raisonnables » sur la question des frontières. On se rappelle les paroles de M. de Bismark dans sa conversation avec M. Behrend, que les Russes étaient «las du royaume, » et c’est dans le même sens que s’exprimaient parfois certains jeunes diplomates russes, qui n’en furent pour cela que mieux vus et goûtés en France dans quelques cercles très hauts et très intimes. Et de même qu’on avait en Europe des opinions très erronées sur l’existence, la force et surtout la sincérité d’un grand parti libéral dans l’empire du tsar, on s’exagérait aussi les graves dangers que faisaient courir à cet empire les menées d’un parti soi-disant « anarchique et rouge. » Dans les années 1861-62, il y eut en effet quelques troubles en Russie, mais c’étaient de ces émeutes de paysans qui sont en quelque sorte passées à l’état chronique dans l’empire. Ces troubles, d’une portée toute locale, n’avaient aucun caractère politique. Vinrent ensuite quelques vastes incendies; mais c’est là encore un phénomène très ordinaire en Russie, — si normal et indigène même qu’il y est désigné depuis des temps immémoriaux sous le sobriquet populaire et pittoresque du « coq rouge » (krasnyi pétoukh). Ajoutons quelques scènes tumultueuses parmi la jeunesse universitaire, telles qu’en voit chaque année presque toute alma mater de l’Allemagne : on aura ainsi épuisé la liste de ce qu’on appelait alors les « symptômes révolutionnaires » dans l’empire fondé par Pierre le Grand. Le gouvernement russe fit comme tant de gouvernemens trop bien avisés de nos jours : il profita des calamités publiques et des tapages scolaires pour dénoncer les « démagogues, » pour se débarrasser de quelques mécontens; il fit fermer les universités et déporter un certain nombre de jeunes gens. Avec la jactance habituelle au radicalisme, les radicaux russes, qui étaient très peu nombreux et vivaient pour la plupart à l’étranger, donnèrent des proportions démesurées à toute cette affaire, exagérant aussi bien la persécution que la force de leur « parti. » Le dirons-nous? les Russes qui venaient en France étaient presque flattés d’avoir, eux aussi, leur Marianne: c’était là une preuve évidente de civilisation avancée; ils étaient surtout heureux de pouvoir parler de leurs « victimes politiques, » chose qu’ils n’avaient plus connue depuis le 14 décembre 1825. Les radicaux russes à l’étranger allaient même jusqu’à prétendre qu’ils avaient de nombreux adhérens dans l’armée, surtout parmi le corps d’officiers, et ce qui est remarquable, c’est que le gouvernement russe lui-même semblait croire à une pareille propagande et sérieusement la redouter. Une