Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/638

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désespérant pas complétement de ramener encore la Russie par la persuasion dans la voie que lui avait indiquée la lettre autographe, et faisant de cette éventualité toujours désirée et regardée comme possible un des élémens mêmes de la combinaison nouvelle, le cabinet des Tuileries s’adressa à l’Autriche et entama avec elle une négociation qui semblait ouvrir à la question des horizons vastes et tout à fait inattendus. Déjà le 8 mars 1863 était parti de Paris pour Vienne M. Debrauz, agent obscur, mais actif, qui alors et depuis servit plus d’une fois d’éclaireur dans diverses affaires communes à l’Autriche et à la France, notamment dans les arrangemens assez embrouillés qui concernaient la couronne mexicaine de l’archiduc Maximilien. Le 12 du même mois, quelques jours après l’arrivée de la réponse de l’empereur Alexandre à la lettre autographe, ce fut l’ambassadeur d’Autriche lui-même, ce fut le prince Richard de Metternich qui se dirigea précipitamment vers la capitale de François-Joseph, et l’opinion de l’Europe ne manqua pas, et avec raison, d’attacher à ce voyage une très haute signification. Peu importe que ce diplomate distingué se soit rendu à Vienne, non point sur l’invitation du gouvernement français (ainsi qu’on l’avait pensé d’abord assez généralement), mais « sur l’appel spontané de son souverain, » comme crut devoir le déclarer M. Drouyn de Lhuys dans une circulaire du 24 mars, personne ne douta, et la conjecture fut pleinement confirmée dans la discussion du sénat, que le prince de Metternich n’emportât avec lui la pensée du cabinet des Tuileries dans ces graves occurrences. Il emportait avec lui en effet les destinées de la Pologne et les intérêts les plus délicats du monde.

C’est ici le moment de jeter un regard en arrière sur la conduite tenue par l’Autriche depuis deux mois, depuis l’explosion du soulèvement polonais, et d’indiquer la politique que cette conduite semblait révéler, et qui fut de nature à encourager la France dans sa tentative auprès du cabinet de Vienne. Il a été parlé précédemment de l’attitude gardée par le gouvernement autrichien pendant les années 1861-62 envers le mouvement polonais dans la période de démonstrations pacifiques et de revendications légales, attitude expectante, réservée, mais qui ne fut pas dénuée au fond d’une certaine bienveillance. Cette réserve sympathique prit le caractère d’une « connivence » marquée, — pour employer l’expression d’un diplomate russe, — aussitôt que le mouvement se fut changé en insurrection à la suite de la fatale mesure du 21 janvier. Les premières bandes insurrectionnelles s’étaient formées surtout près de la frontière galicienne, dans les palatinats de Radom, de Cracovie, de Sandomir et de Lublin, où le territoire montagneux favorisait la guerre de partisans, seule guerre à laquelle pouvaient songer les malheureux