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outlaws. En plus d’une occasion, soit qu’ils fussent acculés par des forces supérieures russes, soit que le manque de vivres et de munitions les eût réduits à la dernière extrémité, les insurgés cherchèrent, de désespoir, un refuge en Galicie..., et là, une surprise indicible les attendait. Au lieu d’être livrés, ou internés, ou pour le moins expulsés, — ce qu’ils auraient déjà regardé comme une grande faveur, — on les laissait passer, on les laissait même revenir et recommencer la guerre après s’être ravitaillés, reposés et renforcés d’un nombre respectable de volontaires, tous enfans de la Galicie, sujets de sa majesté apostolique. Bientôt le cri que « l’Autriche laissait faire ! » retentit dans tous les camps insurgés, et devint le signal d’un espoir immense... C’est qu’en effet l’administration autrichienne en Galicie, d’ordinaire si soupçonneuse, si compassée et si froide, semblait tout à coup avoir perdu sa morgue, sa rudesse, ses violences et jusqu’au souvenir de certaines obligations internationales. Elle ne cachait pas son indignation contre les « horreurs » moscovites, elle pleurait sur l’affreux sort des Polonais, elle pleura, et elle fut désarmée, elle laissa même les autres prendre les armes en les priant seulement de ne pas faire trop de bruit. Quant aux officiers autrichiens, le sentiment militaire leur commandait d’honorer une jeunesse brave, composée en grande partie de gentilshommes, et qui savait se battre et mourir. Du reste, depuis la guerre de Hongrie, la haine des Russes était des plus vivaces dans l’armée « noire et jaune, » et elle se fit jour à ce moment avec une grande intensité. Les soldats vendaient parfois leurs armes à ces « braves gens, » et pour empêcher un trafic pareil le commandant militaire proclama dans un ordre du jour que tout soldat qui perdrait son fusil paierait une amende de 15 florins; or, comme tout insurgé payait volontiers pour chaque fusil le double et le triple, la menace du commandant eut l’effet étonnant d’encourager le commerce. Cracovie présenta alors un spectacle étrange : dans les rues, dans les marchés, on ne faisait qu’amasser de la poudre, du plomb et des uniformes ; on organisait des ambulances ; il y avait des maisons qui portaient en toutes lettres l’inscription en polonais « effets pour l’armée nationale; » dans les carrefours, on inscrivait les volontaires, tout cela sous les yeux des autorités autrichiennes, au su de tout le monde, au su des Russes eux-mêmes, qui ne furent point naturellement les derniers à s’en apercevoir. Dès le 4 février 1863, M. de Tegoborski, chef de la chancellerie du grand-duc Constantin, écrivait dans une dépêche confidentielle au baron de Budberg[1] :

  1. Cette dépêche confidentielle a été interceptée par les insurgés, et nous en avons devant nous l’original même (voyez la première partie de cette étude dans la Revue du 15 septembre). Le passage caractéristique dont nous parlons mérite d’être cité in extenso. « C’est à mon avis le point le plus important (il s’agit du palatinat de Radom, où se trouvait alors Langiewicz), vu surtout les facilités que les insurgés rencontrent de la part des autorités autrichiennes, qui permettent que des individus armés quittent Cracovie et la Galicie pour se joindre aux bandes chez nous. J’ai déjà signalé tout cela à Ptbg (Pétersbourg) et à Vienne. Je vous prie cependant de garder ce détail pour vous seul. Encore hier nous avons reçu un rapport de la frontière, etc. Cette connivence de l’Autriche n’est pas ce qu’il y a de moins remarquable dans l’histoire de cette insurrection... »