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rappeler que ce royaume était même un jour accouru à la défense de Vienne. A partir de 1831 d’ailleurs, la situation créée à l’Autriche par la destruction de la Pologne se révéla sous un aspect nouveau et des plus menaçans, car c’est depuis lors que se dévoila pleinement et acquit une force à peine soupçonnée jusque-là cette propagande panslaviste qui, quoi qu’on ait dit, mettra encore en péril à un moment donné l’existence même de l’empire des Habsbourg. Or, dans ce monde pour ainsi dire élémentaire de la race slave que la Russie se prépare à absorber, la Pologne est la nation qui représente et maintient principalement le caractère d’une individualité historique ; elle a ses traditions antiques, sa civilisation séculaire, « ses droits inscrits dans l’histoire et les traités, » ainsi que le disait une parole impériale; elle a de plus un attachement inébranlable à l’église catholique, elle est même convaincue d’avoir par ce rapport une grande mission à remplir parmi les frères déshérités de la communion byzantine. Cette personnalité distincte, elle ne veut pas la perdre et la fondre en quelque sorte dans le grand tout et le grand vague de l’idée anté-historique de race. Ici comme partout, elle représente le génie individuel de l’Occident contre l’esprit despotique et niveleur de l’Orient; elle constitue par tout cela une barrière jusque-là encore infranchissable aux vues de la Russie, un obstacle invincible à l’union, même idéale, des peuples de la Slavie; elle recueille par cette obstination la haine des Moscovites, les inimitiés et jusqu’aux malédictions parfois des Slaves de l’Autriche et de la Turquie. L’année 1863 même offrait sous ce rapport un spectacle assurément instructif, et qui devait faire réfléchir plus d’un esprit politique à Vienne. Pendant que l’insurrection polonaise éveillait les sympathies les plus cordiales parmi les Hongrois et même parmi les Allemands de l’empire des Habsbourg, les sentimens des sujets slaves de l’empire étaient bien partagés à cet endroit. Certains journaux de la Bohême et de la Croatie, certains organes yougo-slaves[1] traitaient l’insurrection avec haine et dénigrement; ils surpassaient même souvent en violence contre les Polonais les feuilles russes, et tandis que le reichsrath de Vienne applaudissait généralement à l’attitude du gouvernement dans la question polonaise et l’engageait de toutes ses forces à maintenir l’accord sur ce point avec l’Angleterre et la France, seuls les députés tchèques de cette assemblée tenaient un autre langage et ne cachaient pas leur hostilité pour le mouvement de Varsovie. Il est bon de rappeler aussi qu’on avait toujours remarqué une grande recrudescence dans la propagande panslaviste après chaque désastre de la Pologne con-

  1. Ce nom désigne les Slaves du sud.