Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/651

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loppement matériel ou moral), et qui rapporte comparativement le plus de revenus. Qu’on n’oublie pas surtout que l’Autriche retire de cette partie de la Pologne cent mille hommes de troupes, cent mille soldats d’une bravoure incontestable et d’une fidélité qui jusqu’à ce moment n’a encore donné aucun sujet sérieux d’inquiétude. La perspective de perdre un pareil et si précieux contingent aurait sans doute fait réfléchir tout autre état dans tout autre temps; à plus forte raison devait-elle préoccuper un état comme l’Autriche et par un temps comme le nôtre. « On a vu plus d’une fois, — se répétait-on dans certains cercles politiques de Vienne pendant la mission du prince Richard de Metternich, — on a vu plus d’une fois entreprendre une guerre pour acquérir une province, mais jamais pour en perdre une... — Pour en perdre deux, » ajoutaient les plus fins et les plus soupçonneux en faisant allusion à Venise. Et de même pour les grands intérêts de l’avenir le rétablissement d’une Pologne indépendante semblait, à côté d’avantages incontestables, présenter des inconvéniens égaux, sinon supérieurs. Essayons de résumer à ce sujet les réflexions que l’on trouve dans des lettres écrites à cette époque par des observateurs très fins ou par des personnes qui avaient quelque influence dans les hautes sphères de Vienne.

« Sans doute, se disait-on à Vienne, la Russie est une voisine incommode, dangereuse même ; mais qui voudrait cependant affirmer que la Pologne ne serait pas, elle aussi, incommode et dangereuse, bien qu’à un point de vue différent? Si la Russie est ambitieuse et conquérante, la Pologne ne sera-t-elle pas en revanche turbulente et révolutionnaire? A-t-elle jamais fait mystère de ses sympathies pour l’Italie, pour la Hongrie, pour toutes les causes « perturbatrices? » Il n’est pas même jusqu’à ce spectre du panslavisme que l’on soit certain « d’exorciser » par la restauration d’une Pologne, — car qui sait si le spectacle d’un état slave civilisé, indépendant et libéral, ne sera pas encore une cause de dissolution plus active pour les possessions slaves de l’Autriche que la tentation qui vient maintenant d’un empire fort, il est vrai, mais despotique et barbare? Du reste, pensait-on à Vienne, les dangers qui pourraient venir du côté de la Russie sont dans tous les cas encore bien lointains; ils avaient été notablement diminués, éloignés du moins par la guerre de Crimée; « une grande illusion s’était alors dissipée, » selon le mot de lord Clarendon, et plus d’un défaut de cuirasse avait été heureusement découvert dans ce redoutable empire des tsars, qui avait osé dire de l’Autriche que « tout son corps n’était qu’un immense talon d’Achille. » Le danger véritable, présent, le péril imminent ne venait-il pas au contraire de la France, de cette