Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/652

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France démocratique et expansive qui avait fait la guerre d’Italie, ravi aux Habsbourg le Milanais, favorisé la monarchie de Victor-Emmanuel, arboré partout le drapeau de la volonté populaire et fait résonner jusque dans l’Orient turc les mots de délivrance et de nationalité? Était-ce à l’Autriche de seconder maintenant les efforts du cabinet des Tuileries pour la création d’une Pologne indépendante, c’est-à-dire d’un état qui serait indubitablement « l’allié perpétuel » de cette France? Sans parler de l’état des finances, qui réclamait la paix, une guerre comme on la proposait ne mettrait-elle pas l’Autriche dans la dépendance la plus complète de la France? « Une guerre pour la Pologne, — écrivait alors un homme d’état autrichien, — serait la plus grosse des aventures; la tâche serait difficile, tout échec désastreux, et le succès lui-même n’amènerait que des soucis nouveaux. » Et en effet, se demandait-on dans la capitale de François-Joseph, était-ce bien à l’empire des Habsbourg de donner un pareil exemple de la restauration d’une nationalité? Il est vrai que la Pologne n’est pas une nationalité, mais une nation, qu’elle ne représente pas une de ces aspirations vagues sous lesquelles se cachent tant de malentendus et d’impossibilités politiques, qu’elle représente la tradition vivace d’un grand état chrétien qui a eu son existence séculaire, sa mission historique, sa raison d’être et sa nécessité dans l’équilibre du monde; mais, puisque les amis mêmes de la Pologne n’oublient que trop souvent cette distinction grave, essentielle, et confondent sa cause avec celle des nationalités, était-ce bien à l’Autriche de favoriser un pareil quiproquo, à l’Autriche, qui n’est ni une nationalité ni même une nation, mais un gouvernement, c’est-à-dire une dynastie, une bureaucratie et une armée? Du reste n’a-t-on pas déjà retiré des complications polonaises tous les avantages désirables et raisonnables en payant le cabinet de Saint-Pétersbourg de sa monnaie italienne, en rendant l’alliance franco-russe pour un certain temps presque impossible et en raffermissant la position de Vienne contre Berlin dans la grande patrie allemande ? Ne devait-on pas se contenter de ces succès modestes, mais réels, sans courir de périlleuses aventures? On objectera, il est vrai, — concluait-on enfin dans les salons de Vienne, — qu’un prince Clément de Metternich, un prince Félix de Schwarzenberg auraient peut-être mis bien autrement à profit une pareille situation, et qu’un M. de Cavour l’aurait certainement exploitée en grand; mais les temps du chancelier de l’empire et de l’état, aussi bien que ceux du prince de Schwarzenberg, étaient passés, « et c’était un grand bonheur pour l’Autriche de ne pas avoir un M. de Cavour. » Ceux qui voulaient être agréables ne manquaient pas d’ajouter que « c’était même là pour elle un grand honneur... »