Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/654

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Il est sûr dans tous les cas que, depuis un certain temps déjà, on n’entend plus parler que très peu de M. de Schmerling et moins encore du régime parlementaire en Autriche. Du reste, nombre de libéraux en France partageaient alors l’opinion de M. de Schmerling par rapport à leur propre pays : ils furent contraires à toute guerre pour la Pologne, par la crainte qu’elle n’apportât un temps d’arrêt dans le progrès constitutionnel de la France. On a quelque peine à voir ce que, dans ce pays, la cause libérale a gagné à l’impunité laissée aux Mouraviev, et il est impossible de ne pas se rappeler au contraire que la guerre libératrice au-delà des Alpes avait été suivie, pour la France elle-même, des décrets du 24 novembre.

Pour triompher à Vienne de tant d’obstacles, pour surmonter tant d’hésitations, pour rassurer et satisfaire des intérêts si complexes et si multiples, il aurait fallu à la diplomatie française une décision, une habileté, une persuasion peu ordinaires; il aurait surtout fallu qu’elle apportât un plan aussi vaste que bien combiné dans ses détails. Certes on n’a pas ici la prétention ridicule de discuter les voies et les moyens qui auraient été propres à ce moment décisif; on se borne à indiquer les nécessités manifestes qui s’imposaient dans ces occurrences à tout esprit réfléchi; on ne fait du reste que résumer de nouveau à cet égard les conversations qui se tenaient alors dans divers cercles politiques de la capitale de l’Autriche, les lettres qu’écrivaient vers ce temps des personnages fort au courant des affaires de Vienne, placés pour bien voir et bien juger. Ainsi il est évident que le seul moyen peut-être de réussir, c’était d’attaquer la question par son grand côté, de prendre pour objectif une Pologne indépendante dans des dimensions telles que les avait demandées le memorandum du prince de Metternich de l’année 1814. Des proportions plus modestes données à l’entreprise, toute combinaison bâtarde, au lieu de gagner le cabinet de Vienne, ne pouvaient que le refroidir. Le duché de Varsovie, par exemple, était sans doute une création du premier empire, et pouvait à bon droit prétendre à l’honneur d’être une idée napoléonienne; mais il est certain que ce n’était pas là une idée autrichienne, et que les Habsbourg n’avaient que faire d’une création peu viable qui n’aurait jamais constitué une forte barrière entre eux et l’empire des tsars, la seule considération qui devait les préoccuper dans l’hypothèse d’une restauration de la Pologne. Il est également incontestable que, pour réussir, la France aurait dû faire preuve d’un grand et loyal désintéressement, pratiquer, selon la belle parole du poète anonyme de la Pologne, « cette vertu qui est la plus haute sagesse, » et s’abstenir de toute allusion à une rectification possible de ses frontières, — allusion qui ne pouvait qu’effrayer l’Autriche, la faire craindre pour