Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/655

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa popularité en Allemagne et ajouter à ses appréhensions politiques les scrupules légitimes d’un patriotisme rendu méfiant. On aurait dû comprendre qu’une Pologne libre et indépendante sur la Vistule était un avantage plus grand pour la France, un empêchement plus efficace de toute coalition pour l’avenir, que telle acquisition de quelques nouveaux départemens du côté du Rhin; l’Autriche se doutait bien de cette vérité, et ce fut là une des principales causes de ses hésitations; l’Angleterre, elle aussi, ne l’ignorait point et depuis longtemps : c’est là la source de sa tiédeur pour la cause polonaise...

Quant aux compensations à offrir à l’Autriche, c’était là assurément le point le plus délicat, mais aussi le plus essentiel de l’entreprise. Il y fallait un génie de combinaisons comme en avaient eu les grands politiques de la France, les Richelieu et les Henri IV, uni à cet amour de la justice, à ce respect pour les nations, à cette préoccupation des intérêts légitimes de l’humanité et de la civilisation qui seuls, dans nos temps, peuvent rendre de pareils remaniemens de la carte de l’Europe durables et féconds. Il paraît que la pensée de faire échanger à l’Autriche sa possession polonaise contre la Silésie a été sérieusement discutée, et certes la maison des Habsbourg ne pouvait que prendre en très bonne part la proposition de récupérer une province catholique qu’elle avait légitimement possédée, et qui lui avait été ravie par la plus injuste et la plus perfide agression d’un ancien vassal. Toutefois il était peu expédient de présenter des arrangemens partiels : tout plan sérieux devait nécessairement embrasser un vaste ensemble; la confiance et la coopération de l’Autriche n’étaient au prix que d’une complète entente sur tous les points litigieux, et le sort de la Pologne impliquait aussi celui de Venise. Des nouvellistes à effet ont prétendu qu’on avait agité à ce moment la question de livrer à l’Autriche les principautés danubiennes. Nous sommes persuadé qu’il n’en fut rien; un tel trafic eût été indigne de la France, indigne aussi de la cause qu’elle avait généreusement prise en main, — et certes la Pologne elle-même, si malheureuse qu’elle fût alors, et se débattant dans les étreintes de l’agonie, interrogée à cet égard, n’aurait pas hésité à répondre qu’elle ne demandait pas, qu’elle ne demanderait jamais sa délivrance au prix de l’esclavage d’un autre peuple. Mais il y avait du côté de la Turquie un point qu’indiquaient alors volontiers des esprits politiques à Vienne : il y avait là ce littoral oriental de l’Adriatique qui allait parfaitement aux convenances de l’Autriche, dont l’acquisition pourrait même seule la décider à se dessaisir de la ville des lagunes[1], — et cette combinaison ne blessait en rien

  1. Si !"Autriche se décide jamais à faire abandon de la Vénétie, ce ne sera qu’en échange du littoral turc dont nous venons de parler, car lui seul alors lui permettra de maintenir sa puissance dans l’Adriatique. Il est vrai qu’une telle combinaison n’est possible qu’au moyen d’une guerre avec la Russie, et c’est ce que devraient ne pas oublier les hommes sérieux en Italie.