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tile, mais légitime; le second ne fut que dérisoire. La tentative personnelle auprès de l’empereur Alexandre n’ayant point abouti, le gouvernement français avait essayé ensuite de conclure une alliance avec l’Autriche afin de délivrer la Pologne, et on a vu que l’attitude du cabinet de Saint-James fut une des principales causes qui firent échouer une combinaison aussi hardie que généreuse. Ce n’est qu’alors, et après avoir ainsi épuisé plus d’un moyen, que la France consentit à participer à la démarche recommandée avec tant d’insistance par le cabinet anglais, et s’engagea dans des représentations collectives et solennelles auprès de la Russie. Encore la France ne se faisait-elle nullement illusion sur l’efficacité d’une pareille démarche : elle espérait seulement que l’insuccès même de cette campagne démontrerait et imposerait la nécessité des mesures coercitives, et elle était toujours prête à tirer l’épée pour peu que l’Autriche la secondât, pour peu que l’Angleterre n’y mît point absolument d’obstacles. Mais l’Angleterre, que voulait-elle, qu’espérait-elle, à quoi visait-elle par ses démonstrations bruyantes en faveur de la Pologne où elle avait devancé tout le reste de l’Europe? Cette espèce d’émeute diplomatique contre la Russie que provoquait lord Russell dans toutes les chancelleries du continent, cette sorte de Grand-Remonstrance que le descendant des grands whigs portait à Saint-Pétersbourg au nom de l’Europe, les ministres britanniques pouvaient-ils raisonnablement croire qu’elle aurait le moindre effet tant que ne se montrerait pas le ferme dessein d’appuyer au besoin ces représentations par les armes? Les avertissemens dans tous les cas n’ont pas manqué à ce sujet aux ministres anglais : M. Drouyn de Lhuys ne se lassait pas de les prodiguer; le comte Rechberg doutait dès le début que « la cour de Saint-Pétersbourg fût disposée à accepter des représentations amicales » et insinuait « une invitation plus sérieuse[1], » et toute la presse libérale du continent sentait et exprimait très bien une conviction pareille[2]. Non moins concluante fut l’opinion des hommes

  1. Dépêche du comte de Rechberg au prince de Metternich du 27 février, résumée dans la dépêche du comte Russell à lord Cowley du 21 mars 1863.
  2. Voici comment s’exprimait dans sa chronique la Revue des Deux Mondes du 1er juillet 1863 : « L’inconséquence de l’Angleterre dans la question polonaise commence à embarrasser les Anglais eux-mêmes. Pour être logique, le cabinet anglais eût dû éviter de se mêler du conflit et d’y intervenir par des représentations diplomatiques. L’intervention diplomatique, si elle ne devait en aucun cas être soutenue par des mesures coercitives, devait aboutir à l’absurdité et à la confusion. Si, après avoir donné des conseils, revendiqué les principes du droit européen, tracé à la Russie une ligne de conduite, l’Angleterre était décidée en aucun cas à ne passer des paroles aux actes et à laisser écraser la Pologne, sa situation serait à la fois odieuse et ridicule. Plutôt que d’arriver à cette conclusion, mieux eût valu pour elle se tenir dès l’origine à l’écart des pourparlers diplomatiques. L’Angleterre ne pourra pas jouer longtemps avec impunité, sans dommage pour son crédit et la sécurité de ses intérêts dans le monde, ce rôle d’avocat sans conviction et sans force efficace, décidé d’avance à plaider tous les procès des nations opprimées et à les perdre avec une inertie égoïste. »