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clarations, la Pologne n’était-elle pas en droit de croire que les tentatives d’un Mouraviev ne passeraient maintenant ni inaperçues ni impunies ? Ou bien pense-t-on que cela devait être un motif de découragement pour les Polonais, quand un homme d’état aussi éminent, un conservateur si convaincu que lord Ellenborough, les adjurait de ne pas mettre bas les armes, de ne pas même consentir à un armistice ? « Un armistice est absolument incompatible avec la situation actuelle, — disait le noble lord le 9 juin dans la chambre haute. — Si les Polonais mettent bas les armes, comment les reprendront-ils, supposé qu’ils ne soient pas satisfaits des arrangemens de la diplomatie ? Je conseille donc aux Polonais de persévérer et non d’abandonner les armes. Le désespoir les a soulevés, et s’ils persistent, ils parviendront à leur but ou se concilieront le respect du monde civilisé… » En vérité, l’Angleterre a tort de vouloir provoquer une comparaison entre sa conduite envers la Pologne en 1863 et celle tenue alors par la France. Les efforts de la France, dans le mois de mars 1863, étaient aussi sérieux que discrets ; ils se passaient dans le silence des cabinets et demeuraient un mystère pour le public ; l’éclat, le retentissement et par suite l’encouragement pour l’insurrection furent du côté du projet anglais, qui s’imposa dans les premiers jours du mois d’avril. Aussi est-ce à ce moment que la malheureuse nation se jeta tout entière dans la lutte, qui jusqu’alors n’avait été soutenue que par les échappés de la conscription ; c’est alors que le parti modéré fit acte d’adhésion à la résistance armée et en prit la direction, « que les pères suivirent les fils, » selon l’expression caractéristique d’une proclamation polonaise de ce temps, et que la Lithuanie s’insurgea. C’est alors aussi que le colonel Stanton, agent consulaire anglais à Varsovie et très hostile d’abord aux insurgés, écrivit (7 avril) ces paroles prophétiques qu’aurait dû bien peser en sa conscience le comte Russell : « Il est à craindre, disait M. Stanton, que si la Pologne est laissée seule à se tirer d’affaire avec la Russie, si les grandes puissances ne prennent pas en main l’arrangement de la question, il ne restera à ce pays que désolation et ruine pour la génération présente, aussi bien que désastre quant au bonheur, à la prospérité et à la civilisation futurs… »

Il est vrai que, pour peu que les Polonais eussent pu garder leur sang-froid et réfléchir sans passion dans une crise si brûlante, ils auraient été amenés à rabattre beaucoup des espérances fondées sur l’intervention de lord Russell ; s’ils avaient de plus eu le loisir de consulter l’histoire et d’envisager la situation avec calme, ils seraient même peut-être bien vite arrivés à la désolante conviction que la résurrection de leur patrie n’avait précisément à l’occident