Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/665

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aucun adversaire plus ancien et plus décidé que la Grande-Bretagne. Sans parler en effet de l’indifférence de l’Angleterre au XVIIIe siècle en face du partage de la Pologne (qu’un de ses ministres appela alors simplement a curious transaction, et que ne daigna même pas mentionner parmi les faits notables de l’année le discours du trône), il ne faut pas oublier que ce partage a été consacré par les traités de 1815, qu’il est même devenu la pierre angulaire de l’édifice que l’Angleterre a résolu de maintenir à tout prix. Aucune des puissances européennes n’est peut-être aussi intéressée que la Grande-Bretagne à la conservation telle quelle de l’ordre établi par le congrès de Vienne ; aucune n’est passionnée à ce degré pour une œuvre qui a eu pour principale destination d’empêcher l’expansion de la France et d’établir sur le continent un équilibre essentiellement mécanique qui neutralise toutes les forces par une méfiance réciproque, assure aux états une paix pleine de malaise, et permet à la fière Albion de poursuivre sa glorieuse et fructueuse carrière en restant tranquille et remerciant Dieu, — rest and be thankful!... L’enthousiasme pour Garibaldi et la fameuse dépêche à M. Hudson ne doivent pas donner le change sur cette disposition fondamentale de la politique anglaise. Au début des complications italiennes, l’Angleterre n’a épargné aucun effort pour maintenir au-delà des Alpes la domination de l’Autriche; elle déclarait n’avoir « ni un homme ni un shilling » pour la patrie de Dante et de Michel-Ange: elle n’est devenue sympathique à l’Italie qu’après le fait accompli, alors aussi que la situation se fut compliquée d’une question religieuse éminemment propre à flatter les passions et les haines protestantes, alors surtout qu’à, tort ou à raison on crut que l’unification de l’Italie, achevée malgré la France, pourrait un jour servir contre elle. La Grande-Bretagne, de même que la Prusse, ne se réconcilia pleinement avec l’idée d’une Italie indépendante que du moment où elle espéra y élever une nation ingrate, et M. Kinglake aussi bien que M. de Vincke firent franchement valoir cette considération en plaidant la reconnaissance du nouveau royaume de Victor-Emmanuel. Encore ne faudrait-il pas non plus perdre de vue que le comte Russell a été le premier à promettre à l’Autriche la possession incontestée de la Vénétie et à condamner la reine de l’Adriatique à une mort sans phrases. Quant à la Pologne, la politique anglaise est aussi brièvement que lumineusement résumée dans ce qu’écrivait lord Napier en 1862 à une notabilité de l’émigration polonaise en France : « Il serait insensé, il serait éminemment contraire à nos intérêts de restaurer une Pologne et de contribuer par cela à l’affaiblissement de la Russie. » Dans la même année, lord Derby s’était avancé jusqu’à « opiner, » pendant une discussion