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Palmerston, où la France a laissé cinquante mille de ses braves sur le champ de la mort; mais l’Angleterre n’aime pas à se le rappeler, — et pourquoi le ferait-elle, puisque Garibaldi lui-même ne semble guère avoir souvenance de ce petit détail? Encore une fois, lord Russell fut très sincère dans son désir de provoquer une amélioration au sort des Polonais dans les limites des traités établis et au moyen d’une correspondance diplomatique; il fut sincère également dans les efforts qu’il fit un peu plus tard pour amener une cessation des hostilités entre les belligérans. C’était là une préoccupation tout anglaise, car si de notre temps la France est toujours prête à proposer un congrès avant la guerre, la Grande-Bretagne de son côté ne manque pas non plus de recommander une trêve aussitôt qu’il y a quelque part effusion du sang. Elle pressa et obtint une suspension d’armes pendant la guerre du Danemark; elle insista avec ardeur sur une même mesure pendant la guerre de Pologne, et dans la crainte de voir « le gouvernement insurrectionnel » refuser cette proposition et suivre les conseils que lui adressait lord Ellenborough, elle fit sonner bien haut les menaces, et lord Palmerston déclarait « que la partie qui rejetterait l’armistice assumerait sur elle une grande responsabilité. » Le gouvernement insurrectionnel eut le bon esprit d’accepter la proposition anglaise[1] : ce fut la Russie qui la refusa; mais lord Palmerston ne songea point alors à faire peser sa colère sur qui de droit. Il se contenta de dire au parlement : « C’est sur la Russie que retombe la responsabilité du rejet; nous avons fait notre devoir... »

A considérer sans illusions et préjugés la politique de l’Angleterre dans la question polonaise, à la voir si étourdie et si légère à la surface, au fond si noire et désolante pour les espérances de la Pologne, on est presque tenté de déplorer que la France se soit engagée avec elle dans une action commune fatalement improductive, et on se demande s’il n’y avait pas pour le cabinet des Tuileries un moyen d’éclaircir la situation d’un coup, en s’épargnant à soi-même un travail fastidieux, aux Polonais une déception cruelle. Ce fut alors le moment le plus décisif pour l’insurrection en Pologne. Le premier acte de la sanglante tragédie y était précisément fini : Langiewicz venait de succomber dans les derniers jours du mois de mars, et, quoi qu’en pût dire lord Ellenborough, l’honneur était sauf: la jeunesse héroïque de Wengrow et de Wonchock avait suffisamment vengé l’outrage que lui avait lancé le Journal officiel de Varsovie. Sans doute le sort politique de la Pologne aurait été

  1. Dépêche au prince Czartoryski, Varsovie, 10 juillet 1863, publiée dans le Morning-Post.