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de la négociation dont se plaignait déjà M. Drouyn de Lhuys au mois de mai (dépêches au baron Gros et au duc de Gramont du 4), le manque d’harmonie dans les idées et le langage des trois cours intervenantes auquel le ministre français voulait vainement parer en proposant une convention ou un protocole (dépêches du 20 juin), tous ces inconvéniens étaient la conséquence inévitable du refus originel de la France de se placer sur le terrain des traités. À mesure que se développaient les négociations, la divergence fondamentale entre les trois cabinets augmentait de relief pour former à la fin des disparates complètes. La France devenait toujours plus chaleureuse et plus « générale » dans ses plaidoiries pour la Pologne ; l’Angleterre devenait toujours moins précise dans ses exigences d’un régime constitutionnel et représentatif ; quant à l’Autriche, on a indiqué plus d’une fois son argumentation, aussi ingénieuse que constante. — Puisque, disait M. de Rechberg, les stipulations de 1815 ne sauraient satisfaire les Polonais, puisqu’ils ont besoin de l’indépendance, le mieux est de leur accorder le moins possible, de ne leur accorder même rien du tout… On se rappelle peut-être la scène délicieuse de la comédie de Shakspeare où le serviteur de Timon vient demander cinquante talens pour son maître en détresse A Lucius, que Timon avait autrefois obligé. « Cinquante talens ! s’écrie Lucius, rien que cinquante ? Mais tu plaisantes, mon bon Servilius ! Ton maître a au moins besoin de cent talens : que ferait-il de cinquante ? Je les refuse… » Eh bien ! c’est à peu près le même raisonnement dont usait en 1863 Vienne à l’égard du peuple de Sobieski.

Le vague qui caractérisa dès l’origine l’action collective des trois cours intervenantes influa nécessairement aussi sur la conduite des autres puissances qui crurent devoir répondre soit à l’appel primitif et spécial du comte Russell (4 mars), soit à l’invitation que firent plus tard (17 et 22 avril) la France et l’Angleterre à tous les états de l’Europe indistinctement pour obtenir leur concours à Saint-Pétersbourg, — car de même que la France avait « généralisé » la question qui devait être portée devant le tsar, elle a voulu également étendre à « tous les cabinets » la demande d’appui moral que lord John n’avait d’abord adressée qu’aux seuls signataires du traité de Vienne. « L’intervention diplomatique de tous les cabinets, disait à ce sujet la circulaire de M. Drouyn de Lhuys, se justifie d’elle-même dans une question d’intérêt européen, et ils ne sauraient douter de l’influence, salutaire à tous égards, qu’exercerait certainement une manifestation unanime de l’Europe. » Sans être unanime, — la Belgique, entre autres, et la Suisse se récusèrent en prétextant de leur neutralité, les cours d’Allemagne se turent, et