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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/674

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il a été parlé ailleurs de la curieuse réponse que fit à cette occasion M. de Bismark, — la manifestation ainsi provoquée ne manqua point de sembler au premier abord imposante. L’Espagne, le saint-siège, l’Italie, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, le Portugal, élevèrent tour à tour leur voix en faveur de la Pologne ; le Grand-Turc lui-même vint « faire de son côté sa profession de foi[1]. » « Sans avoir la moindre prétention de chercher à se mêler des affaires d’autrui, » la Porte-Ottomane déclarait cependant que ses propres intérêts « la conviaient impérieusement à désirer que l’ordre et la tranquillité règnent partout et surtout chez ses voisins, » — et certes un pareil langage tenu par le « malade » dont l’état venait encore naguère d’être dénoncé comme désespéré par le prince Gortchakov ne manquait ni de piquant, ni d’une allure particulièrement blessante pour le gouvernement de Saint-Pétersbourg. Et toutefois, à la regarder de près, cette grande remontrance des cabinets de l’Europe n’était guère de nature à inquiéter plus que de raison le vice-chancelier russe malgré ce qu’elle avait de solennel et même d’insolite dans les annales de la diplomatie. Il était évident que, dans l’incertitude où ils se trouvaient sur la portée et le sérieux de l’entreprise des trois cours intervenantes, les états secondaires ne songeaient qu’à s’acquitter d’un devoir de politesse envers la France et l’Angleterre, tout en s’étudiant à ne compromettre en rien leurs bons rapports avec la Russie.

En général, les puissances de second ou de troisième rang furent loin de briller par un excès d’émotion et de chaleur dans les notes qu’elles firent parvenir à Saint-Pétersbourg, et plus d’une parmi elles montra à cette occasion aussi peu de zèle pour la justice que peut-être même de prévoyance pour ses propres intérêts dans un avenir bien prochain. Nulle part, il est permis de le dire, la cause polonaise n’avait éveillé, depuis 1861, autant de sympathie que parmi les habitans de la Suède, et M. Jerningham, l’ambassadeur anglais à Stockholm, le constate dans ses divers rapports au comte Russell. Il parle tantôt (7 mars) « de meetings nombreux et enthousiastes auxquels ont assisté des membres de la chambre des nobles, des bourgeois et des paysans, et qui ont voté les résolutions les plus énergiques, » tantôt (30 mars) de la « sensation considérable qui s’est manifestée à propos de l’arrivée à Stockholm du prince Constantin Czartoryski, reçu aussi cordialement par le souverain que par le peuple… L’enthousiasme était à son comble… » Mais lorsque ces sentimens de la nation scandinave et de son roi durent être formulés par le comte Manderström dans une note destinée au prince

  1. Dépêche à Khalil-Bey du 14 mai.