Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/676

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appelant de ses vœux « la réconciliation des deux nations séparées par la foi et par l’histoire, mais unies par l’affinité de races ! » Pour le coup, des instances de ce genre ne pouvaient pas prétendre à peser beaucoup sûr les résolutions du tsar. « J’ai demandé au prince Gortchakov, écrit lord Napier le 6 avril, s’il a déjà répondu au gouvernement italien. Le vice-chancelier a répliqué que les observations orales du marquis Pepoli étaient faites avec si peu d’insistance (had been so slight and occasional), que c’est à peine s’il croyait devoir y prêter attention… » Seul, le souverain pontife ne marchanda point à la malheureuse nation les paroles et les témoignages d’une commisération profonde. Il ne se borna pas aux démarches officielles ; il envoya (juin) le cardinal Reisach à Vienne, en mission confidentielle, écrivit plus d’une lettre touchante et chaleureuse à l’empereur François-Joseph, afin de l’engager à une action commune et énergique avec la France, et dans des prières publiques il proclama hautement et à la face du monde u soldat de la civilisation et de la foi » ce peuple en armes que les plus puissans de la terre n’ont pu se décider à déclarer « belligérant. » Encore à l’heure qu’il est, et alors que le silence des tombes s’est déjà fait depuis longtemps autour de la victime de Mouraviev, Pie IX ne craint pas d’évoquer le nom de la Pologne malgré toutes les frayeurs du cardinal Antonelli, de protester devant Dieu et devant les hommes contre cette extermination de toute une race chrétienne qui s’accomplit au milieu du XIXe siècle, et certes ce n’est pas lui qui, dans ce monde ou dans l’autre, aura à se reprocher « de s’être lassé de la pitié » et à crier ce vœ mihi quia tacui ! que rappelait naguère une allocution émouvante[1]

On connaît les diverses phases successivement parcourues par l’intervention diplomatique des trois puissances, et il suffira de les rappeler ici avec toute la brièveté que mérite une négociation aussi vaine. Devant les premières notes (remises simultanément le 17 avril) et dans l’appréhension d’une action sérieuse encore possible[2], le cabinet russe jugea utile de ne pas retarder sa réponse

  1. Depuis le rapprochement qui s’est opéré entre la Russie et l’Autriche, M. de Bach, l’ambassadeur de sa majesté apostolique auprès du saint-siège, et qui, dans l’année 1863, avait pris part à la procession solennelle ordonnée par Pie IX à Rome en faveur de la Pologne, n’a cessé de peser sur le souverain pontife afin d’obtenir de lui un langage plus conciliant à l’égard d’Alexandre II. Pie IXe a courageusement résisté jusqu’ici, et dans sa dernière encyclique aux archevêques et évêques de Pologne (du 30 juillet 1864 tout en déplorant des « mouvemens mal conseillés (motus male consultos), » il flétrit (exprobare cogimur) la conduite du gouvernement russe en termes des plus énergiques.
  2. De nombreux indices prouvent que le cabinet de Saint-Pétersbourg a eu quelques inquiétudes sérieuses dans les commencemens de l’intervention, et on peut trouver dans les documens officiels les traces nombreuses d’un certain changement de ton dans les faits et paroles du gouvernement russe à cette époque. On a vu que, vers le milieu