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plume du vice-chancelier russe. Le cabinet de Saint-Pétersbourg refusait l’armistice, refusait les conférences, déclinait la compétence des signataires du traité de Vienne, évinçait la France et l’Angleterre, et, — comme trait final, — déclarait vouloir entamer avec la Prusse et l’Autriche, à titre de puissances copartageantes, une négociation séparée… Cette dernière combinaison, qui remettait exclusivement le sort de la Pologne entre les mains de ceux-là mêmes qui l’avaient partagée et opprimée, ne manquait certes pas d’ironie. Lord Napier (dépêche du 16 juillet) avoue ingénument que c’était là quelque chose « à quoi l’on ne s’attendait pas ; » le duc de Montebello déclara une telle ouverture « insultante, tendant à une rupture positive et immédiate, » et l’ambassadeur anglais « partagea pleinement l’impression du duc. » La proposition parut trop forte à M. de Rechberg lui-même, et, « sans chercher l’intention secrète qui a pu diriger le prince Gortchakov, et avant de s’entendre avec les gouvernemens d’Angleterre et de France, » il eut hâte de la repousser spontanément et « catégoriquement » dès le 19 juillet dans une dépêche au prince de Metternich. Cet empressement du cabinet autrichien, d’ordinaire si lent dans ses démarches, fit sensation et parut même de bon augure à quelques hommes d’une foi robuste. D’un autre côté, on répétait alors dans les cercles de Vienne un mot de M. de Rechberg qui présentait cet incident sous une couleur bien différente : « J’ai été très pressé… de retarder les autres,… » aurait dit le ministre de François-Joseph à ceux que sa pétulance avait quelque peu étonnés. Quoi qu’il en soit, il est avéré, et M. Drouyn de Lhuys s’est fait un devoir de le reconnaître, a qu’il n’a pas dépendu du gouvernement autrichien que l’idée suggérée par le cabinet des Tuileries ne fût adoptée. » (Dépêche au duc de Gramont, 3 août.) Cette idée consistait dans une note signée collectivement par les trois puissances « qui aurait donné au cabinet russe la preuve de l’unité de vues qu’il a semblé mettre en doute, et garanti à l’Autriche qu’on entendait rester solidaires des conséquences d’une politique commune. » Ce fut lord Russell qui déclina ce projet et refusa à l’Autriche la garantie qu’elle avait réclamée. Le désarroi était complet ; les puissances écrivirent chacune séparément dans la première moitié du mois d’août (du 3 au 12) des dépêches dont la conclusion seule était identique, et cette conclusion rendait la Russie « responsable des graves conséquences que la prolongation des troubles de Pologne pourrait entraîner. » Le prince Gortchakov, dans sa réponse du 7 septembre, accepta cette responsabilité, et déclara « ne pas vouloir prolonger une discussion » évidemment sans but.


Julian Klaczko.