Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/681

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nous dit de lui à ces deux momens de sa vie où il l’a vu de plus près, et recueillons dans sa correspondance, qui nous a déjà tant servi pour étudier les hommes importans de cette époque, les renseignemens qu’elle contient sur celui qui fut le plus grand de tous.


I.

Il faut d’abord faire connaître par quels événemens Cicéron fut amené à déserter le parti aristocratique, auquel il s’était attaché depuis son consulat, pour servir la fortune des triumvirs, et comment l’ami courageux d’Hortensius et de Caton devint le complaisant de Pompée et de César. Ce n’est pas une belle époque de sa vie, et ses admirateurs les plus résolus la dissimulent le plus qu’ils le peuvent. Cependant il y a quelque intérêt, peut-être même quelque profit, à s’y arrêter un moment.

Quand Cicéron revint de l’exil, son retour fut un véritable triomphe. Brindes, où il débarqua, célébra son arrivée par des fêtes publiques. Tous les citoyens des municipes qui bordaient la voie Appienne l’attendaient sur la route, et il arrivait de toutes les fermes voisines des pères de famille avec leurs femmes et leurs enfans pour le voir passer. À Rome, il fut reçu par une multitude immense entassée sur les places publiques ou rangée sur les degrés des temples. « Il semblait, disait-il, que toute la ville se fût arrachée de ses fondemens pour venir saluer son libérateur. » Chez son frère, où il allait habiter, il trouva les plus grands personnages du sénat qui l’attendaient, et en même temps des adresses de félicitations de toutes les sociétés populaires de la ville. Il est probable que parmi ceux qui les avaient signées il s’en trouvait qui l’année précédente avaient voté avec le même empressement la loi qui l’exilait, et que beaucoup battaient des mains à son retour qui avaient applaudi à son départ; mais les peuples ont parfois de ces entraînemens étranges et généreux. Il leur arrive de se dégager par un élan imprévu des rancunes, des méfiances, des petitesses de l’esprit de parti, et, au moment où les passions semblent le plus ardentes et les divisions le plus vives, de s’unir tout à coup pour rendre hommage à un grand talent ou à un grand caractère qui, on ne sait comment, les a vaincus. D’ordinaire ces mouvemens de reconnaissance et d’admiration s’arrêtent vite; mais n’eussent-ils duré qu’un jour, ils sont un honneur immortel pour celui qui en a été l’objet, et l’éclat qu’ils laissent suffit à éclairer toute une vie. Aussi faut-il pardonner à Cicéron d’avoir parlé si souvent et avec tant d’effusion de ce beau jour. Un peu d’orgueil était ici légitime et naturel. Comment une âme