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voie Sacrée, il entendit tout à coup un grand bruit, et vit en se retournant des bâtons levés et des épées nues. C’étaient les mêmes gens qui venaient l’assaillir. Il eut grand’peine à se sauver dans le vestibule d’une maison amie pendant que ses esclaves se battaient bravement devant la porte pour lui donner le temps de s’échapper. Caton n’aurait pas été ému de ces violences; Cicéron dut en être très effrayé : elles lui firent surtout comprendre que son système de ménagemens habiles n’assurait pas suffisamment sa sécurité. Il était probable en effet qu’aucun parti ne s’exposerait pour le défendre tant qu’il n’aurait à lui donner que des complimens, et comme il ne pouvait pas rester seul et sans secours au milieu de toutes ces factions armées, il fallait bien que, pour trouver l’appui dont il avait besoin, il consentît à s’engager davantage avec l’une d’elles.

Mais laquelle devait-il choisir? C’était une question grave, qui allait mettre son intérêt aux prises avec ses sympathies. Toutes ses préférences étaient évidemment pour l’aristocratie. Il s’était étroitement attaché à elle vers l’époque de son consulat, et depuis ce temps il faisait profession de la servir : c’était pour elle qu’il venait de braver la colère du peuple et de s’exposer à l’exil. Or cet exil même lui avait appris combien le parti le plus honnête était aussi le moins sûr. Au dernier moment, le sénat n’avait pas trouvé de moyen plus efficace pour le sauver que de faire des décrets inutiles, de prendre des vêtemens de deuil et d’aller se jeter en corps aux pieds des consuls. Cicéron jugeait que ce n’était pas assez. En se voyant si mal défendu, il avait soupçonné que des gens qui ne prenaient pas plus résolument ses intérêts n’étaient pas fâchés de sa disgrâce, et peut-être ne se trompait-il pas. L’aristocratie romaine, quoi qu’il eût fait pour elle, ne pouvait pas oublier qu’il était un homme nouveau. Les Appius, les Cornélius, les Manlius, regardaient toujours avec quelque déplaisir ce petit bourgeois d’Arpinum que les suffrages populaires avaient fait leur égal. Encore aurait-on pu lui pardonner sa fortune, s’il l’avait supportée lui-même avec plus de modestie; mais on connaît sa vanité : elle n’était que ridicule; l’aristocratie, qu’elle blessait, la trouvait criminelle. Elle ne pouvait pas souffrir la fierté légitime avec laquelle il rappelait sans cesse qu’il n’était qu’un parvenu. Elle trouvait étrange qu’attaqué par des insolences, il osât répondre par des railleries; et récemment encore elle s’était montrée scandalisée qu’il se fût oublié lui-même au point d’acheter la villa de Catulus à Tusculum et d’aller loger au Palatin dans la maison de Crassus. Cicéron, avec sa finesse ordinaire, démêlait très bien tous ces sentimens de l’aristocratie, et même il les exagérait. Depuis qu’il était revenu de l’exil, il avait encore contre elle d’autres griefs. Elle s’était donné beaucoup de