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peine pour le faire rappeler; mais elle n’avait pas prévu l’éclat de son retour, et il ne semble pas qu’elle en ait été contente. « Ceux qui m’ont coupé les ailes, dit Cicéron, sont fâchés de voir qu’elles repoussent. » Depuis ce moment, ses bons amis du sénat ne voulurent plus rien faire pour lui. Il avait trouvé sa fortune très compromise, sa maison du Palatin brûlée, ses villas de Tusculum et de Formies pillées et détruites, et personne ne songeait à l’indemniser de ces pertes. Ce qui l’irritait encore davantage, c’est qu’il voyait bien qu’on ne partageait pas sa colère contre Clodius. A ses emportemens furieux, on se montrait froid, on restait muet. Quelques-uns même, les plus habiles, affectaient de ne parler qu’avec estime de ce tribun factieux, et ne rougissaient pas de lui tendre la main en public. D’où pouvaient venir leurs ménagemens pour un homme qui les avait si peu ménagés? C’est qu’ils espéraient s’en servir, et qu’ils nourrissaient en secret la pensée d’appeler la démagogie au secours de l’aristocratie en péril. Cette alliance, quoique moins ordinaire que celle de la démagogie avec le despotisme, n’était pas cependant impossible, et les bandes de Clodius, si l’on parvenait à se l’attacher, auraient permis au sénat de tenir les triumvirs en respect. Cicéron, qui s’apercevait de cette politique, craignait d’en être la victime; il regrettait alors amèrement les services qu’il avait essayé de rendre au sénat, et qui lui avaient coûté si cher. En se rappelant les dangers auxquels il s’était exposé pour le défendre, les luttes opiniâtres et malheureuses qu’il avait soutenues pendant quatre ans, la ruine de sa fortune politique et les désastres de sa fortune privée, il disait avec tristesse : à Je le vois bien maintenant, je n’étais qu’un sot (scio me asinum germanum fuisse). »

Il ne lui restait donc qu’à se tourner vers les triumvirs. C’est le conseil que lui donnaient le sage Atticus son ami et son frère Quintus, que l’incendie de sa maison avait contre son habitude rendu prudent; c’est le parti qu’il était lui-même tenté de prendre toutes les fois qu’il venait de courir quelque danger nouveau. Cependant il éprouvait quelque peine à se décider. Les triumvirs avaient été jusque-là ses ennemis les plus cruels. Sans parler de Crassus, dans lequel il détestait un complice de Catilina, il savait bien que c’était César qui avait lâché Clodius contre lui, et il ne pouvait pas oublier que Pompée, qui avait juré de le défendre, l’avait lâchement abandonné à la vengeance de ses deux amis; mais il n’avait pas le choix des alliances, et puisqu’il n’osait plus se fier au parti aristocratique, il était bien forcé de se mettre sous la protection des autres. Il lui fallut donc se résigner. Il autorisa son frère à s’engager pour lui auprès de César et de Pompée, et se mit en mesure de servir leur ambition. Son premier acte, après son re-