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struire dans sa villa d’Arcé des bains, des portiques, des viviers et une si belle route qu’on la prenait pour un ouvrage de l’état. Il est vrai que la misère d’un Romain de ce temps serait la fortune de beaucoup de nos grands seigneurs. Cependant il arriva un jour où Quintus fut tout à fait entre les mains des créanciers et où il ne trouva plus de crédit. C’est alors qu’il s’avisa de la dernière ressource qui restait aux débiteurs embarrassés : il alla trouver César.

Ce n’était donc pas seulement l’amour de la gloire qui attirait Quintus en Gaule; il y allait, comme tant d’autres, pour s’enrichir. Jusque-là les résultats n’avaient pas tout à fait répondu aux espérances, et l’on n’avait pas trouvé chez des peuples comme les Belges et les Germains tous les trésors qu’on allait y chercher; mais on ne se décourageait pas encore : plutôt que de renoncer à cette brillante chimère qu’on s’était faite, on reculait toujours, après chaque mécompte, ce lieu enchanté où l’on devait trouver la richesse. Comme on allait en ce moment attaquer la Bretagne, c’est en Bretagne qu’on le plaçait. Tout le monde comptait y faire fortune, et César lui-même, à ce que dit Suétone, espérait en rapporter beaucoup de perles. Ces espérances furent encore une fois trompées ; il n’y avait en Bretagne ni perles ni mines d’or. On se donna beaucoup de mal pour prendre quelques esclaves qui n’avaient pas grande valeur, car il ne fallait pas songer à en faire des littérateurs et des musiciens. Pour toute fortune, ce peuple ne possédait que de lourds chariots du haut desquels il combattait avec courage. Aussi Cicéron écrivait-il plaisamment à Trebalius, qui lui mandait cette déconvenue de l’armée : « Puisque vous ne trouvez là-bas ni or, ni argent, mon avis est que vous enleviez quelqu’un de ces chariots bretons, et que vous nous arriviez à Rome sans débrider. » Quintus était assez de cette opinion. Quoiqu’il eût été bien accueilli de César, qui l’avait nommé son lieutenant, quand il vit que la fortune n’arrivait pas aussi vite qu’il l’avait espéré, il perdit courage, et, comme Trebatius, il eut un moment la pensée de revenir; mais Cicéron, qui cette fois ne plaisantait plus, l’en empêcha.

Il lui rendit un très grand service, car c’est précisément pendant l’hiver qui suivit la guerre de Bretagne que Quintus eut l’occasion d’accomplir l’action héroïque qui recommande son nom à l’estime des gens de guerre. Quoiqu’il lût Sophocle avec passion et qu’il eût fait des tragédies, ce n’était au fond qu’un soldat. En présence de l’ennemi, il se retrouva lui-même et déploya une énergie qu’on ne lui soupçonnait pas. Au milieu de populations révoltées, dans des retranchemens élevés à la hâte et en une nuit, il sut, avec une seule légion, défendre le camp dont César lui avait confié la garde et tenir tête à des ennemis innombrables qui venaient de détruire