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s’en rendre digne. Après qu’il eut été édile et préteur, il fut nommé gouverneur de l’Asie. C’était une épreuve difficile, pour un caractère comme le sien, que d’être revêtu d’une autorité sans limites. Le pouvoir absolu lui troubla la tête ; ses violences, que rien ne contenait, n’eurent plus de bornes; comme un despote de l’Orient, il ne parlait plus que de faire brûler et pendre. Il voulait surtout mériter la gloire d’être un grand justicier. Comme il avait eu l’occasion de faire coudre dans un sac et de jeter à l’eau deux parricides dans le bas de sa province, en visitant l’autre partie, il souhaitait lui donner le même spectacle, afin qu’il n’y eût point de jaloux. Il cherchait donc à se saisir d’un certain Zeuxis, personnage important, qui avait été accusé d’avoir tué sa mère et que les tribunaux avaient absous. A l’arrivée du gouverneur, Zeuxis, qui pressentait ses dispositions, s’était sauvé, et Quintus, désolé d’avoir perdu son parricide, lui écrivait les lettres les plus tendres pour l’engager à revenir. D’ordinaire cependant il était moins dissimulé et parlait plus ouvertement. Il mandait à l’un de ses lieutenans de prendre et de brûler vifs un certain Licinius et son fils, qui avaient malversé. Il écrivait à un chevalier romain nommé Catienus « qu’il espérait bien le faire étouffer un jour dans la fumée, aux applaudissemens de la province. » A la vérité, quand on lui reprochait d’avoir écrit ces lettres furieuses, il répondait que c’étaient de simples plaisanteries et qu’il avait voulu rire un moment. Étrange façon de plaisanter, qui dénote une nature barbare! Et Quintus n’en était pas moins un esprit éclairé, il avait lu Platon et Xénophon, il parlait le grec à merveille, il faisait même des tragédies à ses heures de loisir. Il avait donc toute l’apparence d’un homme poli et civilisé, mais ce n’était qu’une apparence. Chez les Romains les mieux élevés, la civilisation n’est souvent qu’à la surface, et sous ces dehors élégans on retrouve l’âme rude et sauvage de cette race impitoyable de soldats.

Quintus revint de sa province avec une assez mauvaise réputation; mais ce qui est plus surprenant, c’est qu’il n’en revint pas riche. Il avait apparemment moins malversé que ses collègues, et il ne sut pas en rapporter assez d’argent pour réparer les brèches qu’il avait faites à sa fortune : elle était fort compromise par ses prodigalités, car il aimait, comme son frère, à acheter et à bâtir; il avait le goût des livres rares, et probablement aussi il ne savait rien refuser à ses esclaves favoris. L’exil de Cicéron acheva de mettre le désordre dans ses affaires, et, au retour de son frère, Quintus était tout à fait ruiné. Cela ne l’empêchait pas, au moment de sa plus grande misère, de faire relever sa maison de Rome, d’acheter une maison de campagne à Arpinum et une autre dans les faubourgs, de con-