Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/708

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et les préférences de tous ces gens d’esprit, nous les fait paraître plus vivans et nous rapproche d’eux. C’est assurément un des plus grands services qu’elle puisse nous rendre. Il semble, quand on vient de la lire, qu’on se figure ce que devaient être leurs réunions, et l’on croit en quelque façon assister à leurs entretiens. Il n’est pas téméraire de supposer que Rome les occupait beaucoup. Du fond de la Gaule, ils avaient les yeux sur elle, et c’est pour y faire un peu de bruit qu’ils prenaient tant de peine. En parcourant tant de pays inconnus, du Rhône jusqu’à l’Océan, tous ces jeunes gens espéraient bien qu’on parlerait d’eux dans ces festins et ces cercles où les gens du monde discutaient les affaires publiques. César aussi, quand il passait le Rhin sur son pont de bois, comptait frapper l’imagination de tous ces oisifs qui se réunissaient sur le Forum, au pied de la tribune, pour savoir les nouvelles. Après le débarquement de ses troupes en Bretagne, nous le voyons s’empresser d’écrire à ses amis et surtout à Cicéron[1]; ce n’est pas qu’il eût beaucoup de loisirs en ce moment, mais il regardait sans doute comme un honneur de dater sa lettre d’un pays où aucun Romain n’avait encore posé le pied. Si l’on tenait beaucoup à envoyer à Rome de glorieuses nouvelles, on était fort content aussi d’en recevoir. Toutes les lettres qui en arrivaient étaient lues avec avidité; elles semblaient apporter jusqu’en Germanie et en Bretagne comme un air de cette vie mondaine dont ceux qui l’ont aimée ne peuvent jamais perdre le souvenir et le regret. Il ne suffisait pas à César de lire les journaux du peuple romain, qui contenaient les principaux événemens politiques sèchement résumés et un procès-verbal succinct des assemblées du peuple. Ses messagers traversaient sans cesse la Gaule, lui apportant des correspondances exactes et pleines des plus minutieux détails. « On lui raconte tout, disait Cicéron, les petites choses comme les grandes. » Ces nouvelles, impatiemment attendues, commentées avec complaisance, devaient faire l’objet ordinaire de ses entretiens avec ses amis. Je suppose qu’à cette table somptueuse dont j’ai parlé, après qu’on avait discuté de littérature et de grammaire, entendu les vers de Matins ou de Quintus, c’était de Rome surtout qu’il était question, et que cette jeunesse élégante qui en regrettait les plaisirs ne se lassait pas d’en parler. Certes, si l’on avait alors entendu tous ces jeunes gens causer entre eux des derniers événemens de la ville, des désordres politiques, ou, ce qui les intéressait davantage, des scandales privés,

  1. César écrivit deux fois à Cicéron de Bretagne. La première lettre mit vingt-six jours pour arriver à Rome, et la seconde vingt-huit. C’était aller vite pour ce temps, et l’on voit que César avait dû bien organiser son service de courriers. On sait du reste que le séjour de César en Bretagne fut très court.