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rapporter les derniers bruits qui avaient couru et citer les bons mots les plus récens qu’on avait grand soin de leur transmettre, on aurait eu beaucoup de peine à se croire au cœur du pays des Belges, près du Rhin ou de l’Océan et à la veille d’une bataille ; j’imagine qu’on se serait figuré plutôt qu’on assistait à une réunion de gens d’esprit dans quelque aristocratique maison du Palatin ou du riche quartier des Carènes.

Les lettres de Cicéron nous rendent encore un autre service. Elles nous font comprendre quel effet prodigieux les victoires de César produisaient à Rome. Elles excitaient autant de surprise que d’admiration, car elles étaient des découvertes en même temps que des conquêtes. Que savait-on avant lui de ces pays lointains ? Quelques fables ridicules que les marchands rapportaient à leur retour pour se donner de l’importance. C’est seulement avec César qu’ils furent connus. Le premier il osa attaquer et il vainquit ces Germains qu’on dépeignait comme des géans dont le regard faisait peur ; le premier, il s’aventura jusqu’en Bretagne, où l’on disait que la nuit durait trois mois entiers, et toutes ces chimères qu’on racontait donnaient à ses victoires comme une teinte de merveilleux. Cependant tout le monde ne cédait pas volontiers à ce prestige. Les plus clairvoyans du parti aristocratique, qui sentaient confusément que c’était le sort de la république qui se décidait sur les bords du Rhin, voulaient qu’on rappelât César et qu’on nommât à sa place un autre général, qui n’achèverait peut-être pas la conquête des Gaules, mais qui ne serait pas tenté de faire celle de son pays. Caton, qui poussait tout à l’extrême, lorsqu’on demanda au sénat de voter des actions de grâces aux dieux pour la défaite d’Arioviste, osa proposer au contraire qu’on livrât le vainqueur aux Germains ; mais ces réclamations ne changeaient pas l’opinion publique. Elle se déclarait pour celui qui venait de conquérir si vite tant de pays inconnus. Les chevaliers, qui étaient devenus les financiers et les négocians de Rome, se félicitaient de voir des contrées immenses ouvertes à leur activité. César, qui voulait se les attacher, les appelait sur ses pas, et son premier soin avait été de leur ouvrir une route à travers les Alpes. Le peuple, qui aime la gloire militaire et qui cède franchement à l’enthousiasme, ne se lassait pas d’admirer celui qui reculait pour les Romains les limites du monde. À la nouvelle de chaque victoire, Rome célébrait des fêtes et rendait grâces aux dieux. Après la défaite des Belges, le sénat, vaincu par l’opinion, ne put s’empêcher de voter quinze jours de supplications, ce qui n’avait été fait pour personne. On en décréta vingt quand on apprit le succès de l’expédition de Germanie, et vingt encore après la prise d’Alesia. C’était Cicéron qui d’ordinaire demandait ces honneurs pour César,