Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/718

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je viens d’indiquer cette lutte entre les Latins et les Grecs, qui remplit presque tout le XIIIe et le XIVe siècle, et qui eut pour dénoûment l’anéantissement de la chrétienté orientale devant l’islamisme. Voyons maintenant quelques-uns des personnages qui ont figuré dans cette lutte, qui en ont représenté devant le public les divers événemens et les principales scènes, à qui même l’imagination populaire, inspirée par les singularités de leur fortune, a prêté des aventures plus singulières encore que celles qu’ils ont eues.


II.

Le premier de ces personnages est Baudoin, comte de Flandre et le premier empereur latin de Constantinople. Jeune, beau, vaillant et fort, Baudoin, comme le disent les historiens et les romanciers du temps, était riche de quatorze comtés ; c’était le premier, en Occident, des princes qui n’étaient pas rois, et il y avait des rois même qui étaient moins puissans que lui. Il partit pour la quatrième croisade plein d’enthousiasme pour la délivrance du saint tombeau, mais plein de goût aussi pour les aventures. Les aventures abondèrent dans cette quatrième croisade : Baudoin y gagna un empire. Et quel empire ! l’empire de Constantinople, c’est-à-dire l’empire romain lui-même. Orgueilleux de sa nature, Baudoin devait le devenir encore plus par sa destinée. Ses revers devinrent bientôt aussi grands que sa fortune, et il acquit sur l’imagination des peuples ce dernier ascendant que donnent les grandes adversités venant après les grandes prospérités. Baudoin, en défendant son empire assailli de tous côtés par de nombreux ennemis, disparut dans une bataille contre les Bulgares, sans qu’on ait pu jamais savoir ce qu’était devenu ce premier empereur des Latins, s’il était mort ou s’il avait été emmené comme un captif ignoré. Ce mystère acheva de faire de Baudoin un personnage de légende ou de roman, et dans le Roman de Baudoin, qui épousa le diable, vinrent s’entasser, avec plus ou moins de confusion, toutes les aventures qu’un prince et un croisé pouvaient rencontrer dans ces temps d’aventures. Comme le merveilleux fait plus que la vérité pour perpétuer les noms, et que le plus sûr moyen de vivre dans la mémoire des peuples est de vivre dans leur imagination, le souvenir de Baudoin, comte de Flandre, qui épousa le diable, a été plus durable encore que celui de Baudoin Ier, empereur latin de Constantinople.

Je voudrais raconter brièvement cet étrange roman de Baudoin et en noter çà et là les ressemblances avec l’histoire, ressemblances générales et non particulières, qui s’évanouissent dès qu’on veut faire une comparaison précise, qui reparaissent dès qu’on se con-