Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/724

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mettre en relief, si on ne fait pas quelques récits de la vie privée du roi Louis-Philippe avant 1830, de ses voyages en Europe et en Amérique, de son séjour en Angleterre, de sa conduite prudente et sincère au Palais-Royal pendant la restauration, de son caractère enfin, de ses dépenses, même dont la prodigalité se cachait sous une régularité de comptabilité qu’on avait fini, la calomnie aidant, par prendre pour de l’avarice ? Même curiosité et même intérêt, si on raconte aussi quelques traits de la vie privée de l’empereur Napoléon III avant 1848. Quelle lumière ces digressions biographiques ne jetteront-elles pas sur l’histoire de notre temps ! Quel intérêt ne donneront-elles pas à nos annales ! Je ne voudrais même pas qu’on oubliât entièrement la vie privée de nos princes de la branche aînée pendant leur émigration de près de vingt-cinq ans. La biographie a droit dans notre siècle plus que dans tout autre d’entrer hardiment dans l’histoire.

Revenons au roman de Baudoin, où la biographie, comme nous l’avons vu, a une si large part. Voyons comment se rompt le mariage diabolique du comte de Flandre, et comment, pour en expier la faute, il va à Rome et part pour la croisade. C’est là que le roman rejoint l’histoire, sans pourtant s’y attacher fidèlement.

« C’était un jour de Pâques, et le comte de Flandre avait assemblé tous ses barons. Quand ce fut l’heure du dîner, le baron s’assit à table avec son baronage. À ce moment vint devant lui un vieil ermite qui s’appuyait sur un bâton et avait bien cent ans d’âge. Il requit le comte, au nom de Notre-Seigneur, de vouloir bien lui donner son repas de ce jour. Le comte le lui octroya volontiers, et il ordonna à un de ses écuyers de prendre soin de l’ermite. L’écuyer le fit asseoir à une table à part, devant le comte. Cependant la comtesse de Flandre n’était pas encore entrée et assise ; on l’alla quérir, et elle vint s’asseoir auprès du comte. Quand l’ermite vit la dame, il eut grand’peur, commença à trembler, fit souvent le signe de la croix, et ne pouvait ni boire ni manger. Quand la dame, de son côté, aperçut l’ermite, il ne lui plut point, car elle se douta bien qu’il allait lui causer un grand dommage. Elle pria donc le comte de renvoyer cet ermite, et lui dit : « Sire, il sait plus de malice que les autres gens, et il est entré ici pour méchanceté. Je ne puis pas le voir, et je vous prie de le faire partir. — Dame, dit le comte, l’aumône est bonne à donner à celui qui la demande. Le péché est à qui la prend, s’il n’en a nécessité. Je veux qu’au nom de Notre-Seigneur l’ermite soit servi, et qu’il ait ici aujourd’hui son repas. » En parlant ainsi, le comte regardait l’ermite, qui était assis à table tout pensif, et ne buvait ni ne mangeait. Le comte lui demanda : « Prud’homme, pourquoi ne mangez-vous pas ?