Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/726

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faisait toujours le signe de la croix à son lever et à son coucher. De cette façon, il était bien armé contre moi. Il m’a de même enlevé les deux filles qu’il a eues de moi, parce qu’il les a fait baptiser. Maintenant je n’ai plus rien à dire, je m’en revais en Orient porter ce corps à qui je l’ai pris, afin qu’il repose sous sa tombe. » En disant ces mots, le démon partit sans faire mal à personne, excepté qu’il emporta un petit pilier des fenêtres de la salle. Tout le monde se leva émerveillé ; le comte s’inclina devant le vieil ermite et le pria de lui conseiller ce qu’il devait faire. Le bon ermite lui conseilla d’aller trouver le pape, pour se faire absoudre de son péché, et prit congé de lui.

« Le comte Baudoin séjourna trois jours en son palais tout pensif, et le quatrième jour il s’en alla à Bruges ; mais quand il y fut, il fut raillé et moqué. On le montrait au doigt dans les rues, et les enfans disaient : « Fuyons-nous-en, car voici le comte qui épousa le diable ! » Le comte fut très affligé des paroles qu’on disait de lui, mais il n’en fit nul semblant, et le lendemain il s’en alla à Gand. S’il avait été à Bruges bien moqué, encore le fut-il plus à Gand. De là il s’en alla à Arras, où il fut aussi moqué comme ailleurs. Quand il se vit ainsi moqué, il jura Dieu qu’il emmènerait tout son baronage et s’en irait outre mer conquérir Jérusalem. »

On pourrait croire que Baudoin une fois décidé à la croisade, le roman va retrouver l’histoire et s’y attacher : la légende ne procède pas de cette manière. Elle a beau se rapprocher de l’histoire par les événemens, elle reste toujours à part et fait ses récits à sa guise. Les historiens ne s’occuperaient que de la croisade qui prit Constantinople ; l’auteur du roman ou de la légende veut établir une sorte de suite entre les aventures de son héros. La légende a un penchant décidé pour l’unité d’intérêt, et elle ne veut pas que la vie d’un seul des personnages qui ont été mêlés à la destinée de Baudoin reste sans avoir son dénoûment. À Rome, le pape, qui entend Baudoin en confession, lui ordonne d’aller délivrer Constantinople qu’assiège Aquilan, le soudan des Sarrasins, et lui ordonne aussi, s’il est vainqueur, d’épouser l’impératrice et de se faire empereur. Un combat singulier entre Baudoin et le soudan, et dans lequel Aquilan est tué, décide la délivrance de Constantinople. Baudoin rentre victorieux dans la ville et demande la main de l’impératrice. L’entretien entre Baudoin et cette princesse, qu’il avait autrefois refusée, est spirituel et gracieux, de la part de l’impératrice surtout. « Par le Dieu de paradis, dame, dit Baudoin, ce voyage a été entrepris pour l’amour de vous, car le pape me le commanda au partir de Rome. J’avais d’abord entrepris mon voyage pour aller au saint sépulcre ; mais le pape me dit que, si je pouvais garantir de