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Turcs deviennent chaque jour les plus puissans, et ils concentrent dans leur empire toute la force du mahométisme.

Après de grandes prouesses du père et des fils, le hasard de la guerre les réunit à la cour du soudan d’Égypte ; ils se racontent leurs aventures, et Gilion de Trasignyes se sent pris d’un violent désir de revoir sa patrie. « Je ne sais pas encore comment je pourrai faire, dit-il ; j’aurais grande joie au cœur si le soudan voulait me laisser partir ; mais enfin, s’il n’y consent, je finirai par y trouver tour et manière. — Sire, dit alors la belle Gracyenne, sachez bien que vous ne partirez pas sans moi. Vous m’avez prise pour votre femme, vous m’avez épousée, et jamais, tant que j’aurai à vivre, je ne vous quitterai ; mais j’irai avec vous et je servirai votre première dame et épouse pendant le reste de ma vie. — Belle, dit alors Gilion, vous ne pouviez dire parole qui me fît plus plaisir. » Et ils s’embrassèrent en pleurant. Quand Hertan, l’ami et le compagnon d’armes de Gilion, les entendit, il leur dit qu’il partirait aussi avec eux et en leur compagnie sans que personne, fors Dieu, pût l’en empêcher.

Pendant que le père et les enfans et la belle Gracyenne faisaient si grande joie, parlant de leur retour au pays de Hainaut, le soudan survint, à qui Gilion raconta qu’il avait retrouvé ses enfans et les grandes aventures qu’ils avaient eues. Le soudan fut émerveillé et fit grand honneur aux fils de Gilion. Il donna pour eux une fête qui dura six jours. Gilion et ses enfans demeurèrent encore pendant six mois avec le soudan. Après ce temps, un jour que le soudan était appuyé aux fenêtres de son palais, Gilion vint vers lui et lui dit très humblement : « Sire, c’est la vérité qu’il n’y a aujourd’hui prince si grand au monde parmi les mahométans qui soit si hardi de vous vouloir faire la guerre. Tout votre empire, tous vos royaumes et ceux même de vos alliés sont en paix et en sûreté. Aussi je veux vous prier, profitant de cette bonne paix, que vous me laissiez partir pour mon pays de Hainaut avec mes deux enfans. Je croyais, sur de faux rapports, que ma femme était trépassée ; elle vit, et je voudrais la revoir et mon pays. Je vous ai loyalement servi et du mieux que j’ai pu. Je voudrais emmener avec moi Gracyenne ma femme et mon compagnon d’armes Hertan, en vous promettant, sur ma foi et sur la loi de Jésus-Christ, que s’il vous survient des guerres et que vous m’appeliez, je ne m’arrêterai pas un jour de plus en mon pays après votre appel, et je viendrai vous servir, comme j’ai coutume de le faire. » Quand le soudan entendit ce que lui demandait Gilion, il fut fort triste et resta longtemps sans répondre. Enfin il dit qu’il consulterait là-dessus ses barons. « Les barons du soudan furent d’avis qu’il ne pouvait pas refuser à Gilion la per-