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mission mission qu’il lui demandait, pourvu qu’il promît de revenir, en cas de guerre, sur l’appel du soudan. Gilion et le soudan se séparèrent donc, le soudan fort triste de ce départ et de voir s’éloigner de lui sa fille Gracyenne, qu’il recommanda instamment à Gilion, puisqu’elle allait être en terre étrangère, sans autre protecteur que lui. Gilion, ses deux fils, sa femme et Hertan allèrent du Caire à Jérusalem, où ils baisèrent le saint tombeau ; puis ils s’embarquèrent à Saint-Jean d’Acre sur un vaisseau génois. Ils relâchèrent six jours à Chypre, où le roi reçut avec beaucoup de joie les fils de Gilion, qui avaient pendant quelque temps combattu sous ses drapeaux. De Chypre, ils vinrent à Naples et de là à Rome, où la belle Gracyenne et Hertan furent baptisés par le pape dans l’église de Saint-Pierre. Une heure après son baptême, Hertan mourut et fut reçu au paradis. Gilion, sa femme et ses fils traversèrent l’Italie, les Alpes, la Savoie, la Bourgogne, puis Namur, et entrèrent enfin en Hainaut. Quand ils furent arrivés là, Gilion prit un de ses gentilshommes et l’envoya à Trasignyes pour annoncer sa venue à sa femme Marie. Arrivant à Trasignyes, le gentilhomme, qui était un homme sage et expérimenté, salua la dame et lui dit qu’il avait entendu dire que ses deux fils avaient retrouvé Gilion leur père, et qu’ils allaient bientôt revenir avec lui en Hainaut. Il ne voulait pas lui dire que Gilion l’avait envoyé, parce qu’il y a eu des femmes qui sont mortes de joie. La dame le remercia et lui demanda s’il savait qu’ils eussent déjà traversé la mer. « Oui, et j’ai vu un homme qui leur a parlé. » L’écuyer laissa ainsi la dame pendant plus de trois heures, pensant à la venue de son mari et de ses deux fils, puis après lui dit : « Madame, soyez certaine et sûre que demain après dîner aurez votre mari et vos deux enfans en ce château. — Ah ! mon ami, dit la dame, est-ce comme vous dites ? — C’est la vérité. » Alors, à cause de la joie qu’elle avait, la dame de Trasignyes embrassa l’écuyer. Puis elle fit tendre et parer son hôtel et envoya quérir les chevaliers et écuyers et leurs femmes et leurs filles pour l’accompagner à la venue de son mari. Le lendemain après dîner, Gilion et sa compagne arrivèrent au château de Trasignyes. La noble dame vint au-devant de son seigneur, et, le prenant dans ses bras, elle l’embrassa plusieurs fois, puis elle baisa ses deux enfans ; elle baisa aussi la belle Gracyenne. Le souper prêt, ils s’assirent à table. Gilion s’assit au milieu de ses deux femmes, et le souper fut servi par ses deux fils. Après le souper, quand ils furent levés de table, Gilion dit à sa femme Marie : « Très chère amie, quand j’étais au-delà de la mer, il me fut dit faussement par un chevalier qui se nommait Amaury que vous étiez trépassée en mal d’enfant. Dans la douleur que je souffris de cette nouvelle, je fis vœu et serment de