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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/745

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Faust. Tout cela suffira-t-il? J’aime à le croire; j’aurais voulu pourtant qu’au moment de s’initier à l’œuvre inédite, on se fût davantage rapproché de l’esprit des autres partitions de Meyerbeer.

Il y avait un moyen bien simple de se préparer à ces études de l’Africaine ; c’eût été, je ne dis pas de reprendre, mais de remonter soigneusement et par le détail les deux premières grandes partitions du maître. Assurément ni Robert le Diable ni les Huguenots n’ont quitté le répertoire de l’Opéra ; mais la manière dont ils y figurent désormais ne saurait convenir à de tels chefs-d’œuvre, pas plus qu’à la dignité du théâtre sur lequel ils se produisent. En même temps que la peinture allait s’effaçant de ces décors, la tradition de cette musique se perdait. J’assistais dernièrement à une représentation des Huguenots ; j’en suis sorti navré, au point de me demander si c’était aussi beau que je me l’imaginais. De ces costumes délabrés, de cette chorégraphie de troisième ordre, en un mot de cette mise en scène suant le désarroi, on pourrait encore en prendre son parti; mais comment ne pas être affligé du manque absolu de conviction chez tout ce monde? De la voix, du style, de l’enthousiasme, hélas! nous n’en sommes plus à demander tant; cependant au moins faudrait-il, quand on chante de la musique de Meyerbeer, avoir l’air de croire à ce qu’on chante, et dans ce splendide duo du quatrième acte par exemple, ne pas se désintéresser à ce point de la situation. C’est cependant ce qui arrive. Valentine livre son secret, et Raoul ne s’en émeut plus. À ce cri, l’un des plus sublimes que la passion ait trouvés depuis Shakspeare et Mozart, ce n’est point Raoul éperdu qui répond, mais M. Gueymard, lequel, à force de jouer vaille que vaille le personnage, a fini par ne plus s’étonner de l’aveu. « Tu m’aimes? — a-t-il l’air de dire, — je le savais depuis cent et uns représentations. » N’ayant rien oublié, il n’a rien appris. Et qu’on ne s’y trompe pas, cette désuétude est partout: chaque soir, le public s’en attriste, et ce serait grand dommage si un pareil état de choses pouvait se prolonger. Comme les bonnes ou mauvaises raisons ne manquent jamais à qui prétendrait ne rien faire, on s’est longtemps prévalu de la situation nécessairement provisoire imposée à l’administration par la construction de la nouvelle salle. Qui songe à renouveler son mobilier à la veille d’un déménagement? N’était-il point mieux de remettre au lendemain ces fameux projets de restauration et de continuer tant bien que mal à vivre sur le vieux en attendant le neuf auquel forcément on allait avoir à recourir ? Or, pendant qu’on exploitait ce bel argument, des mois s’écoulaient, des années; ce qui jadis n’était que vieux devenait caduc, ce qui n’était que caduc s’effritait sur place, et nous avons fini par assister à ce curieux spectacle d’une salle de marbre et d’or, à la fois pagode, cathédrale et mosquée, — qui s’élève à l’horizon, — tandis que dans l’autre tout un répertoire s’écroule. Il convient donc qu’au plus tôt ce provisoire cesse. D’ailleurs, quand on admettrait que ces atermoiemens aient eu leur raison d’être, comment s’expli-