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l’octogénaire directeur du conservatoire de Bruxelles possède ce rare avantage d’avoir conservé à travers l’âge et l’esthétique des facultés d’admiration pour les œuvres du temps. Bien qu’il tienne ferme en musique pour les Grecs et les Latins, ce n’est pas lui qui, comme M. Boissonade, reprocherait à Nicolopoulo de n’être après tout qu’un Grec moderne. Au sortir d’une thèse didactique qui pourrait en remontrer à tous les Marpurg, les Kirchberger et les Albrechtsberger de l’Allemagne transcendentale, l’auteur de la Vieille est capable de se laisser charmer, comme vous et moi, et charmer jusqu’aux larmes par une simple phrase mélodique de Joconde ou des Visitandines. «Prenez un public italien, me disait un jour Rossini, et donnez-lui de la musique; vous allez le voir à l’instant battre des mains et trépigner de joie sans savoir seulement pourquoi il trouve cela si beau, sans même se le demander. En France, c’est tout le contraire. Pourquoi cela est-il beau? Si par miracle vous l’ignorez, ce dont je doute, vos voisins de gauche et de droite vous l’apprendront, ce qui ne fera pas qu’ils s’en émeuvent davantage, car chez vous tout le monde analyse et raisonne, personne ne sent. » En choisissant quelqu’un pour une tâche si grave, Meyerbeer aura pensé à ce qu’il faisait. Un musicien pratiquant fût arrivé là avec ses idées, son système. D’ailleurs où le choisir? Parmi les humbles? On pouvait tomber sur un imbécile. Parmi les forts? On risquait de se heurter contre un envieux. En présence des chanteurs et de l’orchestre de l’Opéra, un simple ami, un théoricien même de renom fussent restés sans autorité ; autant valait s’en référer à la jurisprudence discrétionnaire de M. le directeur. Par sa double qualité de compositeur émérite et de glossateur accrédité, M. Fétis aura sans doute convenu. Habile à pénétrer par la science dans les profondeurs de l’œuvre du maître, il en absorbera l’esprit pour le répandre. Lorsque dans ce texte abondant et toujours praticable, où les variantes s’entre-croisent comme de luxuriantes végétations, des difficultés de détail se produiront, sa décision l’emportera. Il aura, pour se prémunir contre toute idée de surcharge sacrilège, sa longue habitude du commerce des maîtres. Et quant aux suppressions, s’il s’en présente à faire, sa saine critique lui dira qu’en pareil chapitre il faut savoir au besoin trancher dans le vif, procéder nettement par coupures intégrales plutôt que par modifications et raccords.

Il s’agit maintenant de faire droit avec un soin religieux à tous les devoirs qu’impose une si haute responsabilité : devoirs très complexes sans nul doute, exigences non moins variées que délicates, car il est impossible que cette continuelle fréquentation de l’œuvre n’amène pas tôt ou tard le savant metteur en scène à tailler sa plume pour en disserter urbi et orbi. « Aux musiciens, écrivait jadis d’Alembert, de composer de la musique, et aux philosophes d’en discourir. » Sur ce point, M. Fétis est sans reproche, ses services peuvent donc compter double. Et quand Meyerbeer aurait prévu le cas, où serait le grand mal ? Qui pourrait en vouloir aux Corneille