Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/836

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purs et intacts la dignité de son art et l’honneur de son nom : rare leçon donnée par une comédienne à une société corrompue ! Mais nous n’en sommes pas encore à ce triste épisode de la vie du comte de Saxe. Il s’amuse innocemment en amusant l’ennemi. Laissez les coqs se battre, laissez la fée comme dit Maurice, fredonner les ariettes joyeuses du Molière de l’opéra ; Maurice, pendant ce temps, a ses projets en tête. On l’accusait de ne rien faire à la fin de 1745 ; on l’accusera plus tard, et ces reproches ont été répétés par des historiens de nos jours, on l’accusera, dis-je, dans les dernières périodes, de ne songer qu’aux opérations qu’il dirige, de tout rapporter à soi, à ses entreprises, à la gloire de ses drapeaux, sans se soucier de l’ensemble de la guerre et de l’intérêt commun. Voici une page entre cent autres qui répond à ce double grief. Le roi de Prusse venait de traiter avec Marie-Thérèse. Le comte d’Argenson, ministre de la guerre, interroge Maurice sur la situation nouvelle et en reçoit cette réponse :


« Gand, 12 janvier 1746.

« Vous me faites, monsieur, l’honneur de me demander mes idées sur la nature des opérations convenables à la nouvelle face que prendra vraisemblablement le système de la guerre depuis la paix du roi de Prusse.

« Comme ces objets sont presque toujours présens à mon esprit, il ne me reste pour répondre à votre attente, monsieur, qu’à rédiger ces idées dans l’ordre et la forme que je croirai la plus supportable.

« Il faudrait pour cela que je fusse instruit, et s’il y a apparence que les ennemis porteront une armée sur le Rhin, et si vous comptez que nous y en aurons une. Il n’y a que vos lumières qui peuvent m’éclairer là-dessus, car je ne suis pas à même de porter un jugement certain sur ce point, qui dépend d’une infinité de circonstances.

« Le temps s’étant mis à la gelée, je compte, si elle dure, reprendre l’exécution du projet dont vous avez connaissance vers le 18. J’aurai l’honneur de vous en prévenir par un courrier.

« Selon ce que j’en juge, nous ne serons pas obligés d’avoir une armée sur le Rhin, et la reine de Hongrie ne pourra que difficilement persuader les cercles, le duc de Wurtemberg et l’électeur palatin à assembler une armée considérable qui les incommoderait et pourrait attirer la guerre chez eux. Dans ce cas, il faudrait diminuer, autant qu’il serait possible, le nombre des troupes qui sont en Alsace, pour les employer ailleurs et surtout pour ne point donner inquiétude au corps germanique ; ce qui obligera la reine de Hongrie à envoyer la plupart de ses troupes en Italie et en Flandre, et à en garder une partie en Allemagne qui lui deviendra inutile.

« Les choses dans ce point d’évidence, il sera bon, à ce que je pense, d’avoir une armée vers Thionville qui puisse agir offensivement et se porter sur le Rhin, s’il en était besoin. Cette armée divisera les forces que les ennemis pourraient nous opposer du côté d’Anvers, et pourra faire le siège de Namur selon les circonstances… J’ai de la peine à croire que les ennemis puissent mettre une armée en campagne avant le mois de juin ; ainsi