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fait pratiquer moi-même à Lille l’avant-dernière campagne ; l’armée combinée était campée dans la plaine de Cisoin ; mon premier soin fut de défendre à l’officier-général qui commandait à Lille d’en brûler les faubourgs, et assurément je n’aurais pas pris sur moi une démarche si contraire à l’usage, si je n’avais cru pouvoir en prouver l’abus. »

Le secret de l’entreprise, la précision et la rapidité des mouvemens rendirent cette précaution superflue ; pendant qu’on délibérait à Bruxelles sur la lettre du comte de Saxe, nos troupes occupaient déjà les faubourgs. La grosse artillerie arrive le 3 février, et l’attaque peut commencer. Toutes les positions qui défendent la ville, le fort des Trois-Trous, le château de Grimberg, le château de Wilworden, sont emportés à la baïonnette. Cependant la garnison est encore plus forte qu’on ne pensait d’abord ; une armée entière est dans Bruxelles, et Maurice, qui veut épargner la ville, est obligé à toute sorte de ménagemens. L’assaut, c’est le pillage. Nos soldats, accoutumés à voir les places les mieux défendues arborer le drapeau blanc au bout de quelques jours, sont exaspérés à la fois et de la résistance de Bruxelles et de l’espèce d’inaction qui leur est imposée. Quand la ville se rendra, — car elle se rendra tôt ou tard, ce n’est qu’une affaire de temps, — les chefs pourront-ils empêcher les vainqueurs de se jeter avec furie sur une telle proie ? Maurice ne veut pas que la destruction de Bruxelles efface le souvenir de la prise de Prague. Quelle tache ce serait dans sa vie militaire ! C’est alors qu’il écrit à M. de Kaunitz cette lettre que le comte d’Argenson qualifiait de chef-d’œuvre :


« Au quartier-général de Lacken, le 11 février 1746.

« Monsieur,

« J’ai reçu la lettre que votre excellence m’a fait l’honneur de m’écrire hier, et assurément la proposition que votre excellence me fait serait acceptable dans d’autres occasions. Je connais les égards que l’on doit à une nombreuse et brave garnison, et je serais approuvé de lui accorder tous les honneurs de la guerre ; mais Bruxelles n’est point une place tenable, il ne serait pas possible d’assembler d’armée pour venir à son secours sans courir risque d’une destruction totale ; aucuns moyens ne me manquent, je puis les augmenter, en artillerie et en tout, autant que je veux : ainsi il ne me faut qu’un peu de temps et quelques précautions pour vous faire demander des conditions honnêtes, quoiqu’un peu dures.

« Mon intention n’est pas de faire de Bruxelles une place de guerre, et ces grandes villes qui font l’ornement d’un pays devraient toutes être traitées sur le pied où s’est mis Milan. Vous avez fait la faute d’y mettre une grande garnison ; il est juste que nous en profitions.

« J’enverrai cependant un courrier sur-le-champ à la cour pour savoir ses ordres ; je crains seulement mes propres troupes : elles sentent leur supériorité, et jusques aux soldats connaissent des défauts à cette grande