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ville, que j’ignorais et que peut-être votre excellence ignore elle-même ; je crains donc que, dans une attaque un peu vive, ils ne forcent de toutes parts leurs officiers à marcher, et lorsque je les aurai une fois dedans, il faudra bien que j’aille à leur secours. Jugez, monsieur, du désordre et de la confusion d’une telle circonstance ! Il me serait triste que ma vie fût marquée par une époque telle que l’est celle de la destruction d’une capitale.

« Votre excellence ne saurait croire jusqu’où le soldat français pousse l’industrie et la hardiesse. J’ai vu plusieurs fois, à la reddition des villes, pendant qu’on réglait les points de la capitulation, toute la ville se remplir de soldats, sans savoir par où ils y étaient entrés. À Philipsbourg, cela nous est arrivé ; cependant les otages en sortaient par un seul petit bateau. À Ypres, qui assurément est une place avec de hauts remparts, couverts d’ouvrages et de bons fossés, tous les postes étaient garnis de troupes hollandaises ; je fus voir M. le prince de Hesse que je connais depuis longues années ; pendant que j’étais chez lui, toute la ville se remplit de soldats français, sans qu’on ait su par où ils y étaient entrés. Cela se passait à dix heures du matin. À cinq heures du soir, il envoya chez moi et me fit dire qu’ils y étaient de nouveau. On y envoya des détachemens pour les en chasser. Ils sont comme des fourmis et trouvent des endroits inconnus aux autres. Jugez ce que ce serait, monsieur, dans des occasions où ils auraient le pillage pour but et dans une place mauvaise par elle-même ! C’est, je vous assure, ce qui m’embarrasse le plus dans la conduite de cette affaire-ci. »


Plaidoyer ingénieux, et en même temps vive peinture de nos soldats, peinture d’hier et d’aujourd’hui qui sera reconnaissable demain encore et toujours ! Maurice nous savait à fond ; il retrouvait les qualités et les défauts de ses troupes dans le portrait gravé par César, et en peignant le soldat du XVIIIe siècle, il devançait les peintres militaires de nos jours. Il y a du Charlet dans ce dessin à la plume. Ces hommes qui pénètrent partout sans qu’on sache comment, qui sortent de dessous terre, qui remplissent une ville, ces fourmis invisibles, infatigables, ces conquérans qui sans plus de façon prennent possession de la place pendant que les chefs délibèrent, quel artiste les a mieux décrits en quelques traits ?

Si nous prétendions tracer ici l’histoire de nos campagnes, si nous faisions un récit militaire et non une peinture plus générale où le caractère d’un homme reflète les mœurs d’une société, nous ne devrions pas détourner nos yeux du siège de Bruxelles. Quel fut l’effet de cette lettre ? M. de Kaunitz se résigna-t-il à subir les conditions de Maurice, c’est-à-dire à livrer sa garnison prisonnière, pour épargner à la ville les malheurs dont le menaçait le comte de Saxe ? La piquante missive de Maurice a éveillé notre curiosité, et il nous tarde de savoir la fin de l’aventure. Que le lecteur veuille bien nous pardonner ; Maurice est notre sujet principal, et nous rencontrons ici un incident qui ne peut être ajourné, bien qu’il se rapporte à des matières toutes différentes, car c’est précisément ce mélange de pré-