Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/849

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guerre chez eux en se joignant au prince Charles, à moins qu’ils ne se crussent eux-mêmes menacés par la réunion d’une armée française en Alsace. Il y avait donc tout avantage à diminuer l’armée du prince de Conti au profit de l’armée conquérante. D’ailleurs, quoique diminuée, l’armée du prince aurait encore un grand rôle ; elle serait chargée des opérations dans l’est des Pays-Bas, et si par hasard le prince Charles se présentait sur nos frontières du Rhin, quelques jours suffiraient pour en compléter les cadres et la porter rapidement vers l’ennemi. L’intérêt de la France, l’amour-propre du prince de Conti, tout était concilié dans ce projet ; Maurice avait donné son avis en bon serviteur de l’état et en camarade loyal. Ce ne fut pas le sentiment du prince. Le ministre ayant adopté le plan du maréchal, le prince de Conti essaya de se venger par les plus misérables tracasseries. Les dépêches du comte Loss, en expliquant aujourd’hui les lettres de Maurice, nous permettent de saisir la situation tout entière. Le prince de Conti avait dû ramener ses troupes d’Alsace en Flandre, et il lui était enjoint de combiner ses opérations avec celles du comte de Saxe. Au lieu de cela, il lui faisait « toutes sortes de niches, » selon l’expression du comte Loss. Ces niches étaient souvent des perfidies odieuses. Le prince de Conti aurait été heureux de faire battre Maurice, au risque de compromettre le salut de la France. Un jour, à la fin de juillet 1747, les deux armées étant en face de l’ennemi à quelques lieues de distance l’une de l’autre, et Maurice pouvant être exposé à une attaque où il aura besoin d’appeler à son aide la gauche du prince de Conti, le prince ose soustraire ses lieutenans à l’autorité supérieure du maréchal. Maurice, poussé à bout cette fois, est obligé de signaler au roi cette espèce de trahison. « Voici, écrit-il au ministre de la guerre, une chose qui mérite toute l’attention du roi et la vôtre, et qui m’a extrêmement surpris, M. le comte d’Estrées m’a dit en confidence qu’il lui était défendu d’agir, à moins qu’il n’eût un ordre positif de M. le prince de Conti. En conséquence il ne s’est pas joint à moi, et vous verrez, par la lettre de M. le prince de Conti que j’ai l’honneur de vous envoyer, sa volonté à cet égard, c’est-à-dire que si les ennemis venaient pour m’attaquer, ce qui peut arriver d’un moment à l’autre, M. le comte d’Estrées serait obligé de rester spectateur du combat, à moins qu’il n’eût obtenu la permission d’agir de M. le prince de Conti, qui est à six grandes lieues d’ici. Vous verrez plus, monsieur, c’est qu’au lieu de songer à me renforcer, il me prévient qu’il enverra M. le comte d’Estrées, je ne sais pas où, battre les buissons dans des endroits où les ennemis ne sont pas. Cette conduite de M. le prince est incompréhensible. Je la cache avec grand soin à l’armée pour que les ennemis l’ignorent… » Que serait-il advenu si le maréchal se fût vengé du prince par le