Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/870

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de tout cela, et il me paraît difficile ou plutôt impossible que l’on nous fasse rendre ce que nous tenons.

« Voilà, monsieur, ce que je pense. Vous ne laissez pas que de me tranquilliser beaucoup, et si les fanfreluches des négociations commencent une fois à se mêler, nous en avons pour dix ans sans tirer un coup de fusil. C’est votre affaire ; la mienne est de prendre et de garder, et je vous réponds de m’en acquitter en conscience. Je vous promets aussi de combattre jusqu’au trépas pour des vérités que je ne comprends pas. C’est à vous de prêcher et de bien établir les principes, les détailler, les prouver ; que les hérésies soient confondues, et qu’on écrive de part et d’autre plus de volumes là-dessus qu’il n’y en avait dans la bibliothèque d’Alexandrie et que n’en ont écrit tous les pères de l’église ; je vous promets d’attendre tranquillement sur le Demer, jusqu’à ce que la vérité soit triomphante. Les ennemis ne s’enrichiront pas pendant ce temps-là, s’ils restent armés, et cette position leur coûtera plus qu’à nous. S’ils désarment, nous désarmerons aussi et songerons à l’épargne. Battez-vous donc bien, monsieur ; que Dieu donne de la force à votre plume. Je vous proteste que je n’ai nulle envie d’interrompre vos occupations ; mais jusqu’à ce que tout cela soit évident, ne rendons rien ou ne rendons guère. »


Nous retrouvons ici le soldat de Prague, le général de Fontenoy, le conquérant des Flandres, le vainqueur de Raucoux, de Lawfeld, le manœuvrier infatigable devant lequel tant de places fortes avaient arboré le drapeau blanc. Ce langage répond aux accusations de ses calomniateurs et le justifie devant l’histoire. Quelles que soient les fantaisies qui aient pu traverser son cerveau, il était bien des nôtres quand il sentait si vivement la honte du traité qui suffisait à Louis XV. Je sais bien qu’un sentiment personnel se mêlait à sa patriotique douleur ; il se disait déjà ce qu’il exprimera plus tard avec un sourire amer : « Allons, la paix est faite, il faut nous résigner à l’oubli. Nous ressemblons aux manteaux, nous autres ; on ne songe à nous que les jours de pluie. » Oui, Maurice de Saxe se voyait inutile désormais, il se voyait oublié à Chambord, à ce Chambord où il ne lui restera plus qu’un simulacre de souveraineté, après que d’étranges projets auront excité inutilement son besoin d’action et d’aventures. Qu’importe ? La lettre est belle, elle est française, et nous pouvons l’inscrire encore, comme un bulletin de victoire, à la dernière page de ses campagnes.


SAINT-RENE TAILLANDIER.