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la fierté et la force d’une race nouvelle arrivant à la puissance, image énergique et séduisante de cet ordre naissant qui s’inaugure dans la tempête, — toutes les deux partant de Versailles et du quai des Lunettes pour finir avec le même héroïsme sur le même échafaud, toutes les deux enfin, par une coïncidence étrange, retrouvant plus que jamais aujourd’hui des historiens qui se disputent leur mémoire, devenant au même instant l’objet de publications qui éclairent d’une lumière nouvelle des destinées si diverses et si cruellement dénouées.

Ces publications d’ailleurs, dans ce qu’elles ont de nouveau ou de connu déjà, se lient intimement à ce grand et douloureux procès de la révolution française, et par leur propre histoire, car elles ont une histoire, elles expriment merveilleusement ce travail qui se poursuit pour arriver à la vérité définitive, qui ne s’accomplit que par degrés, tantôt par des divulgations inattendues, tantôt par des restitutions devenues possibles, quelquefois même par des trouvailles de hasard. Où ont été écrits, quelles péripéties ont traversées ces mémoires de Mme Roland, qui n’étaient jusqu’ici qu’incomplètement connus et que deux éditeurs reproduisent aujourd’hui dans leur intégrité, M. P. Faugère en les éclairant par des notes, M. Dauban en les accompagnant d’une étude intéressante, animée, quoique un peu confuse, et en y ajoutant surtout une vraie découverte, les lettres à Buzot? Mme Roland les a écrits lorsqu’elle n’avait plus que quelques jours à vivre, lorsqu’elle était déjà sous les verrous de l’Abbaye et de Sainte-Pélagie. Par un contraste qui fait le caractère de ces récits tracés d’une main qui ne tremble pas, elle se réfugie dans les souvenirs de son enfance, elle décrit d’un esprit libre, original, quelquefois piquant, les scènes de sa vie paisible et ignorée au moment où la mort la presse de toutes parts, où les tueries de septembre peuvent se renouveler. Puis elle s’arrête tout à coup comme ressaisie par le sentiment de la situation, et c’est la patriote qui reprend la plume, qui dans sa captivité combat encore pour ses amis vaincus de la gironde, qui étreint corps à corps ses ennemis, le terrible Danton, le faible Garat, le perfide Pache, l’atroce Robespierre. Un souffle rafraîchissant de jeunesse et le souffle embrasé de la révolution se mêlent dans ces pages, écrites sous le couteau. Le premier éditeur, Bosc, l’ami dévoué et fidèle de tous les instans, avait cru devoir supprimer quelques passages d’une vivacité trop blessante pour des hommes qui vivaient encore ou d’une crudité passablement compromettante pour celle qui ne reculait pas devant certaines révélations intimes; après Bosc, le second éditeur, Champagneux, avait fait de même, et depuis, dans les éditions successives, ces passages sont restés supprimés. Ce