Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/872

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indistinctement du doigt de l’inexorable fatalité. Philosophiquement, politiquement, on ne voit quelquefois que l’ensemble, les résultats, l’avènement abstrait d’un ordre nouveau acheté au prix d’une catastrophe, dont les détails s’effacent comme les personnages eux-mêmes, perdus dans je ne sais quelle confusion grandiose; au point de vue de l’histoire et de l’analyse morale, observée dans ce qu’elle a d’humain et de réel, la révolution française est d’un intérêt bien autrement saisissant.

Ce n’est plus le drame abstrait des idées, c’est le mouvement de la vie dans ce qu’elle a de plus intense et de plus complexe. Sous l’emphase révolutionnaire qui envahit tout, — la parole, le geste et l’attitude, — la tragique réalité se fait jour. Les groupes se dessinent, les figures se détachent dans leur relief. Ils ont une physionomie distincte, tous ces hommes qui ne se ressemblent que parce qu’ils mettent invariablement et successivement leur tête pour enjeu dans leurs débats; ils passent sur la scène avec leur caractère, leurs bassesses ou leurs grandeurs, avec leurs mobiles intimes, souvent mêlés aux passions publiques. En un mot, c’est la vie dans sa vérité et sa diversité, et comme les femmes ont toujours leur rôle dans toutes les crises de la société française, les femmes, elles aussi, sont aux expiations et aux combats de la révolution. Il y en a de toutes les classes. Qu’elles descendent des régions privilégiées du monde ou qu’elles sortent de l’obscurité de la condition bourgeoise et populaire, elles sont partout comme conseillères, comme complices ou comme victimes; elles sont dans les agitations des partis, dans les réunions, dans les prisons, dans ces sombres prisons qu’elles illuminent de leur présence, qu’elles transforment en un dernier refuge de la vie sociale expirante, où elles portent l’animation de leur nature et leurs séductions. Elles savent surtout bien mourir; elles ont de ces mots héroïques qui troublent le bourreau, témoin cette duchesse de Gramont qui, traînée devant le tribunal révolutionnaire et interrogée sur des secours qu’elle aurait fait passer aux émigrés, se relève pour répondre : « J’allais dire non, mais ma vie ne vaut pas un mensonge. » Il semble que, souveraines par l’élégance et par l’esprit, elles veulent rester aussi les premières par la vaillance du cœur, par une grâce virile dans le péril, et s’il fallait résumer dans deux noms de femmes cette tragédie de la société française au moment de la révolution, ce formidable duel de deux mondes, il n’y aurait qu’à mettre en regard ces deux noms de Marie-Antoinette et de Mme Roland : l’une, la fille de Marie-Thérèse, la reine de France, victime d’une fatalité qui tourne contre elle jusqu’à ses plus innocentes faiblesses de femme, émouvante personnification d’une grandeur qui finit, — l’autre, la jeune bourgeoise émancipée, ayant déjà